LES "BLACK PROGRAM": LE PROJET SILVER BUG (Partie 2)

Publié le par Scaramouche

Le projet Y2.

Ce projet était une collaboration entre l'US Air Force et la société AVRO, pour la construction d'un engin à décollage et atterrissage vertical. Ce projet faisait partie du "Projet Silver Bug", mais au Canada il prendra le nom de "Projet Y2", d'après le nom du projet qui avait été retenu suite aux études préliminaires (1). Et au Canada, on le surnomme aussi parfois "Projet Ladybird".

La recherche Canadienne avait démarré en 1952 (l'association avec le programme Américain commença en février 1953) et se terminera en 1962. Il était donc aussi constitué de la poursuite des recherches, qui avaient été réalisées précédemment par les Canadiens. Le responsable des équipes était l'ingénieur Britannique John Frost qui était aussi conseillé par les anciens ingénieurs en aéronautiques Allemands Miethe et Shiever.

 

Le projet Y, rejeté par l'Air Force.

Parallèlement au projet Y2, il a existé pendant une courte période un autre projet visant lui aussi le même objectif, c'était le projet Y. Ce dernier proposait un prototype complètement différent. Il s'agissait d'une aile volante arrondie en pointe vers l'avant, propulsée par plusieurs réacteurs. Son mode de décollage devait se faire complètement à la vertical, à l'aide d'un procédé de trains retractables, pour servir de "pieds" à l'engin. Ce système de décollage à la verticale est désigné par le terme "tail-sitter".

Une forme d'aile allongée devait être utilisée en raison du mode de propulsion par "radiaux de flux" conçus pour l'alimenter. Les moteurs avaient été conçus pour émettre des gaz d'échappement provenant de plusieurs petites turbines, ce qui augmentait la poussée. Il devait voler à 2500 miles à l'heure. 

Mais à la suite des études préliminaires, ce prototype ne sera pas retenu par l'Air Force, qui préféra choisir le projet Y2, qui était un prototype de forme circulaire, comme une soucoupe. L'Air Force, tout comme la Navy, expérimentait déjà d'autres modèles d'appareils supersoniques, aux formes plus ou moins classiques, pouvant décoller à la verticale. Mais ces projets n'auront pas convaincu, les appareils connaissant régulièrement des problèmes aérodynamiques, qui les rendaient insuffisamment maniables (2).

Le prototype, qui avait reçu le nom de code de "Oméga", n'aura existé que sur plan et sa seul réalisation concrète sera une maquette en bois. Dont il existe quelques photographies prises dans un hangar de Malton, près de Toronto, où travaillait la société AVRO. C'est accidentellement qu'elles seront découvertes dans les archives nationales Britanniques au "Public Record Office" de Kew (photos ci-dessous). 

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Même s'il ne sera pas choisi par les Américains, les Canadiens tentèrent tout-de-même de le poursuivre pour leur propre compte, avec des fonds Britanniques. Finalement, l'Oméga sera totalement abandonné. Mais le brevet pour cet appareil a bien été déposé aux Etats-Unis le 6 novembre 1962. C'est le brevet N° 3062482 pour un "aéronef à turbine à gaz" (documents ci-dessous).

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L'étude d'un nouveau principe de réacteur.

Cette étude avait été réalisée pour le projet Y, et devait équiper l'aile volante Oméga. Au contraire des réacteurs classiques, dont les rotors sont coaxiaux, et sont placés à l'intérieur du réacteur, le procédé d'AVRO était de placer le rotor du compresseur horizontalement (donc avec un axe de rotation vertical) qui comprime l'air de manière radiale, en l'éjectant sur son pourtour. Une partie de l'air comprimé par le compresseur pouvait être dirigée dans n'importe quels endroits de la périphérie du disque, afin d'assurer l'inclinaison et l'orientation de l'appareil. Le système de pilotage de l'engin se faisant en contrôlant ces flux d'air froid et leur puissance, qui pouvaient aussi contribuer à la propulsion verticale ou horizontal de l'appareil. Indépendamment, ou en association avec les flux chauds venant de la chambre de combustion. 
Mais suite aux essais en soufflerie réalisé de 1954 à 1960 qui ne seront pas concluant, durant toute la conception de ce nouveau type de moteur, ils décideront d'utiliser un réacteur classique.

 

Les différents design envisagés par AVRO.

Depuis 1952, la recherche Canadienne avait étudié plusieurs pistes pour ses prototypes, comme vous pouvez le voir sur les document ci-dessous, récapitulant les différents projets:

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Le premier qui aura la préférence, sera le Projet dénommé "PV-704" au Canada et "MX-1794" aux Etats-Unis (à droite). C'était celui qu'avait retenu l'Air Force au début et lorsque ce dernier sera abandonné en 1955, ils se rabatteront un temps sur le "Weapon System 606A", avant de choisir définitivement le projet "VZ-9-AV", qui deviendra l'Avrocar (à gauche). Il n'y aura que ces deux engins qui deviendront des prototypes et subiront des essais en soufflerie (maquettes d'origine de la société AVRO ci-dessous):

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Le projet PV-704.

Il avait une forme de soucoupe, avec un cockpit central, équipé de plusieurs réacteurs, alimentant plusieurs turbines. Une partie de l'air pouvant être dirigée dans n'importe quels endroits de la périphérie du disque, afin d'assurer l'inclinaison et l'orientation de l'appareil. Le système de pilotage de l'engin se faisant en contrôlant ces flux et leur puissance, qui pouvaient aussi contribuer à la propulsion verticale ou horizontal de l'appareil. 

Mais après plusieurs tests de différentes versions en soufflerie (selon le nombre et la position des réacteurs), ce projet sera abandonné, officiellement faute de crédit. Mais le brevet pour cet appareil a bien été déposé aux Etats-Unis le 27 février 1962. C'est le brevet N° 3022963 pour un "aéronef de type disque à jets de contrôle périphérique" (documents ci-dessous).

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Le Projet WS-606A.

Suite à l'échec du PV-704, AVRO se tournera pendant une durée assez courte vers une autre piste avec le "Weapon System 606A" (dont il y aurait eu plusieurs versions). Qui était un engin de forme circulaire, avec un fuselage central et un cockpit de forme classique (illustration ci-dessous). Il se pourrait aussi qu'AVRO l'ait étudié paraléllement, pendant le projet "V7-9-AV", mais on n'en est pas certain. Lui ne dépassera pas le stade des plans et sera assez rapidement délaissé.

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Le Projet VZ-9-AV.

AVRO poursuivra ses recherches en s'orientant vers le projet "VZ-9-AV". Cet appareil de forme circulaire avec un moteur à réaction, serait maintenu au-dessus du sol par un "coussin d'air" et tiré vers le haut par "l'effet Coanda" (l'effet Coanda, est un effet aérodynamique mal maîtrisé, né d'un inventeur français, Henri-Marie Coanda, qui avait expérimenté avec un moteur à réaction rudimentaire dans les années trente. Il avait constaté qu'un réacteur horizontal pouvait fournir une poussée des deux côtés simultanément), la propulsion et la sustentation étant obtenues par l'aspiration de l'air par le haut et l'orienter ensuite vers le bas et le pourtour de l'engin (shémas ci-dessous).
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D'après l'histoire communément admise, la majorité des participants étaient maintenu au secret le plus total, et seulement quelques-uns savaient exactement, ce sur quoi ils travaillaient (3). Mais cela n'empêcha pas les rumeurs à l'époque, comme se souvient le photographe Verne Morse: "Il y avait une rumeur stupide autour de l'usine disant que nous faisions la construction d'une soucoupe volante, et tout le monde riait à ce sujet".

La première année de recherche s'avéra difficile. Le réacteur atteignait une température trop élevée, qui faisait fondre la structure d'acier du prototype, et les secousses violentes faisaient sauter les rivets du fuselage. Ce fût à ce moment que le gouvernement Canadien, après avoir dépensé quatre cent mille dollars Canadien sur le projet, décida d'arrêter les frais. L'Air Force repris alors le financement du programme. Grâce à des nouveaux fonds, l'ingénieur John Frost a repensé le concept original, plaçant trois réacteurs Continental J69-T9 avec chacun 417 kilos de poussée unitaire, autour d'une turbine centrale qui était alimentée en air grâce à un apport circulaire que représentait la turbine au centre de l'engin (plan ci-dessous).

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Le pilote serait assis dans un cockpit légèrement ovale, dans une bulle en plexiglas (l'engin n'était encore prévu que pour un seul pilote).

Mais les tests en soufflerie, réalisés sur un premier prototype (immatriculé "S/N 58-7055"), au Canada comme aux Etats-Unis (4), avaient démontré qu'il y connaissait de graves problèmes de stabilité et qu'il y avait un risque de retournement de l'engin, à chaque accélération des réacteurs (ses problèmes ne seront jamais maîtrisés). L'USAF avait voulu l'équiper d'un empennage pour voir si cela permettrait de corriger le problème, mais Frost, refusera fermement d'approuver l'idée. Ce qui n'empêcha pas l'Air Force de faire une tentative en installant un aileron arrière, pour faire d'autres essais en soufflerie (photo ci-dessous).

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Un second prototype (immatriculé "S/N 59-4975"), qui deviendra le démonstrateur de vol, fera ses premiers vols d'essais le 12 novembre 1959. Il y en aura d'autre en janvier 1960 et à partir de juillet 1960 jusqu'à la fin de l'année au Canada, pour les poursuivre aux Etats-Unis, jusqu'en juin 1961. Le projet s'arrêta le 30 avril 1962. Il y aura eu 75 heures de vol d'essai en tout. Au Canada, le pilote d'essai était celui de la société, Spud Potoki, un pilote d'origine Polonaise. Aux Etats-Unis il y aura deux pilotes d'essai: le major Walter J. Hodgson, de l'US Air Force et Fred J. Drinkwatter III, de la NASA. 

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La réalisation finale aura des cocardes Américaines peintes sur le fuselage et aboutira à un engin de forme circulaire bi-place d'un diamètre de 5,50 mètres sur 1,47 m de hauteur. Il pesait 2095 kilos à vide et la charge maximum au décollage était de 2563 kilos. La propulsion et la sustentation étaient obtenues par l'aspiration de l'air par le haut et l'orienter ensuite vers le bas et le pourtour de l'engin. Et c'est à ce moment qu'il aura son nom définitif pour l'exploitation commerciale, par le terme "Avrocar" (photo ci-dessous).

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La société AVRO y croyait vraiment.

Les responsables de la société était très enthousiastes. Le Département de publicité de la société avait même commencé à concevoir des brochures promotionnelles pour exploiter le potentiel de ce type d'engin volant, pour le jour où il serait dévoilé au public. Il devait d'être appelé le "Avrocar" (la "voiture Avro"), et ils espéraient qu'il y aurait de grandes retombées, pour des utilisations tant civiles que militaires. Il y aurait eu un "Avrowagon" pour les transport en commun, et une "Avroangel" (qui aurait été une ambulance aérienne) et un "Avropelican" air-mer, qui devait être capable de se poser sur l'eau, pour des sauvetages et la guerre anti-sous marine.

Ken Palfrey, un des dessinateurs sur le projet, a déclaré que Frost avait de profonds espoirs: "Il avait l'intention d'un faire un, quatre fois plus grand, pour déplacer des troupes dans et hors des zones de combats, comme les hélicoptères font maintenant" (5).

 

Le bilan du Projet Silver Bug / Y2.

Les résultats ne seront pas à la hauteur de ce qui avait été attendu. Tant au niveau de ce que voulait l'Air Force au début, quand on voit le design des soucoupes étudiées au départ et ce que sera le résultat final avec l'Avrocar. Il planait à tout juste 90 centimètres du sol et devenait totalement et surtout dangereusement incontrôlable, dès que l'on tentait de dépasser un mètre d'altitude. Et sa vitesse maximum ne dépassa jamais 56,3 Km/heure. Mais au cours des années qui suivront et aussi bien des années plus tard, il y aura des retombées plus intéressantes de ce programme bien plus tard, quand d'autres constructeurs aéronautiques chercheront à faire des appareils à décollage vertical. Les résultats de la recherche du projet Y2, apporteront des données exploitables, pour la maîtrise des flux d'air provenant des réacteurs, pour d'autres programmes d'appareils à décollage vertical, qui eux aboutiront (comme par exemple avec le "Sea-Harrier" Britannique).

Le premier prototype pour les essais en soufflerie finira dans un entrepôt du Maryland, qui sert de centre de stockage pour le National Air and Space Museum en 1966 (photo ci-dessous).

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Tandis que la version définitive du démonstrateur de vol, qui avait été présenté à la presse, sera restauré (il avait été présenté pendant quelques années à l'extérieur) et puis exposé au Musée de Fort Eustis en Virginie en 1979, où on peut toujours le voir aujourd'hui (photo ci-dessous).

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(1) Pour plus d'informations, voir la Partie 1.

(2) Il y avait le XFV-1 ("Pogo") de Lockheed et le XFY-1 ("Salmon") de Convair pour la Navy, qui était des avions à double hélice, qui seront abandonné en 1955. Et le X13 de Ryan Aéronauticcal Compagny de l'Air Force qui était à réaction, et sera abandonné en 1957.

(3) En fait, le secret et la sécurité n'était pas si sévère que ça. Jean Pierre Petit, l'astrophysicien Français, s'était rendu aux Etats-Unis en 1961 et avait été au laboratoire de Stanford. Dans son livre "Ovnis et armes secrètes Américaines", il raconte que lorsqu'il s'est présenté à la porte d'entrée, il n'y avait pas de gardes et il était entré dans les bureaux sans le moindre problème, et comme il n'y avait personne, en ouvrant les portes des bureaux, qui n'étaient pas fermées, pour chercher quelqu'un, il se rendra compte qu'il n'y avait personne. Et il verra même l'Avrocar dans un hangar. Quand le personnel revint (il était parti déjeuné), le responsable piquera une colère, parce que Petit, n'aurait jamais dû voir un appareil aussi secret.

(4) En 1959 la Marine américaine viendra prendre le prototype pour des tests en soufflerie au Ames Researh Center de la Nasa à Moffet Field en Californie. Il a été mis dans un camion à plateau en pleine nuit. La police avait arrêté tout le trafic jusque dans le port de Toronto, et arrivé là, le prototype fût alors chargé sur un remorqueur américain. Le remorqueur descendit ensuite le long du canal Érié, le long de la voie pour New York, et ensuite à travers le canal de Panama, jusqu'en Californie. 

(5) Frost quittera la société AVRO lorsque celle-ci fermera ses portes pour raisons financières en 1962. Frost partira vivre en Nouvelle-Zélande où il mourru en 1979.               

Sources:
"Technical Report n° TR-AC-47, Joint ATIC-WADC Report on Project Silver Bug", publié le 15 février 1955 par l'Air Technical Intelligence Center de Wright-Patterson Air Force Base, Ohio. Declassifié le 29 mars 1995;
Magazine Top Secret n°12;
www.cufon.org;
www.lasieworks.com;
www.avroarrow.org.