LES "BLACK PROGRAM": LE PROJET SILVER BUG (Partie 1)
Un programme pour étudier la conception d'un nouveau type d'aéronef à décollage et attérrissage vertical.
Le projet "Silver Bug", "cafard d'argent" (projet n° 9961) avait été développé conjointement par l'ATIC, le "Air Technical Center", le "Centre de Renseignement Technique de l'Air" et le WADC, "Wright Air Developpement Center", le "Centre de recherche et de développement de Wright", en février 1953. En fait, il s'inspirait à l'origine d'un programme Canadien démarré en 1952. C'est le général D.C. Putt de "l'USAF Air Research and Développement", la branche "Recherche et Développement de l'Air Force", qui en prendra la direction.
Ce programme avait pour but d'étudier la possibilité d'une une toute nouvelle conception d'aéronefs tout-à-fait radicale. Pour envisager la réalisation d'un disque volant, qui serait capable à la fois de décollages et d'atterrissages verticaux, et ayant une vitesse de vol supersonique. Au départ, le projet avait mis en concurrence deux types d'engins différents.
Le projet "Silver Bug" avait été lancé, lorsque le renseignement de l'Air Force avait rapporté des informations indiquant un grand intérêt de la part de l'Union Soviétique dans ce domaine d'activité.
Une autre motivation de l'Air Force était de trouver un moyen de limiter au maximum la vulnérabilité des bases aériennes, qui sont toutes tributaires de leurs pistes d'atterrissage. Non seulement les pistes prennent énormément de place de par leur longueur, mais elles seraient tout-à-fait identifiables par des photos aériennes et aussi par des satellites espions (même si l'on en était qu'au début de l'ère spatiale, il y avait bien, pour l'Air Force, un risque pour la sécurité nationale, quand des satellites espions pourraient être mis en orbite par l'URSS). De plus, l'armée de l'air y voyait-là un moyen de ne plus dépendre des pistes d'atterrissage de ses bases (qui bien-sûr deviennent inutilisables, dès qu'elles sont bombardées).
En cas de succès, les nouveaux engins devaient être entreposés en sous-sol, évitant ainsi la nécessité d'avoir des longues pistes.
Un programme conjoint Américano-Canadien.
Le projet Silver Bug, s'appuyait pour ses recherches sur les travaux du contractant de la défense A. V. Roe Limited, une société Canadienne (que l'on appelle plus communément "AVRO") et qui était une filiale de l'entreprise Américaine "Hawker-Siddley Group". Le principal objectif était de résoudre les contraintes de ces nouveaux engins et de leur forme, identique aux "soucoupes volantes". Pour offrir à la force aérienne Américaine, des systèmes d'armement avancés, capables de décoller et d'atterrir verticalement, avec des capacités et des performances supérieures aux jets militaires de l'époque. Et pouvoir proposer une utilisation possible dans la majorité des bases déjà existantes.
De plus, les supérieurs de l'Air Force avaient bien définis que:
- "Il ne semble y avoir aucune raison fondamentale, pour laquelle cette étude ne devrait pas donner lieu à un système d'armement. Cependant il existe plusieurs domaines techniques qui doivent être étudiés avant qu'un développement du programme à grande échelle ne soit lancé";
- "La simplicité de la construction de l'engin devrait atténuer un grand nombre des problèmes logistiques liés à la construction, qui sont normalement associés avec le développement de nouveaux aéronefs";
- "Se basant sur ces éléments, le double programme de recherche-développement est justifiable";
- "Les échanges d'informations techniques sur ce projet se feraient en liaison directe, entre le WADC et l'ATIC";
- "Un effort doit être entrepris, pour déterminer si l'Union Soviétique travaille encore ou a déjà travaillée pour conduire un projet similaire, quand les travaux ont commencé et l'état actuel de l'avancée Soviétique".
Deux types d'engins seront envisagés, mais un seul sera retenu.
Durant les deux premières années, des études préliminaires pour un modèle d'aéronef à décollage vertical seront lancées. Et parmi elles, deux types de projets (regroupant chacun différents prototypes) se démarqueront:
- L'un appelé "Projet Y", qui visait un engin en forme d'aile volante à pointe fuselée, avec un décollage vertical par l'arrière de l'appareil (procédé de décollage type "tail-sitter");
- Et un autre, appelé "Projet Y2", qui visait une plate-forme volante circulaire, qui reste à l'horizontal au moment du décollage (de type dénommé "flat-riser").
Ils étaient tous les deux classés "secret". Après étude par les contractants, pour servir de base de travail, le projet Y sera finalement abandonné au profit du projet Y2 (1). L'Air Force désirant un appareil plus maniable, préférait une forme de soucoupe. Les forces Américaines avaient déjà fait l'expérience d'avions supersoniques à décollage vertical dans différents autres programmes, qui avaient posé des problèmes d'aérodynamisme et ils préféreront choisir un engin de forme circulaire (2).
A partir de ce moment, la direction prise par la recherche sera de s'orienter définitivement vers une forme de soucoupe circulaire, pour concevoir un prototype d'engin à décollage vertical. Les prototypes seront au départ appelés "VTO Aircraft", pour "Vertical Take Off Aircraft", "aéronef à décollage vertical".
Le principe de l'aéronef qu'avait retenu l'Air Force au départ.
La forme générale était celle d'une plate-forme circulaire ayant l'apparence d'un "disque". Le tout surmonté d'un cockpit central pour le pilote. La première étude du prototype, prévoyait 6 réacteurs Armonstrong-Sidney "Viper 8" placés en étoile, dans l'épaisseur du fuselage, autour de la partie centrale, avec un système de volet, pour orienter les flux de gaz des réacteurs. Voilà les plans ci-dessous:
Il y aura une seconde étude d'un prototype, permettant aussi un large flux radial d'energie sur sa circonférence mais avec un système de motorisation différent. C'est celui-là qui avait été retenu. Il sera appelé le "MX-1794" aux Etats-Unis et le "PV-704" au Canada, Voilà les plans ci-dessous:
Les caractéristiques de cet engin "Radial-Flow Engine Aircraft":
Diamètre: 29,20 pieds;
Hauteur: 3,79 pieds;
Poids total du fuselage et du cockpit : 9532 livres;
Poids total du système de propulsion : 10450 livres;
Equipement de vol, radio-électrique, air conditionné et oxygène: 1068 livres;
Capacité du réservoir de fuel: 1140 gallons;
Poids à vide: 21050 livres;
Charges de fuel: 7750 livres;
Equipage (un pilote): 200 livres;
Poids total en chage: 29000 livres.
Un système de propulsion et de contrôle indissociable.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser généralement en voyant les plans de cet aéronef, il ne s'agissait pas d'un engin à "antigravité".
Il utilisait un mode de propulsion disons plus conventionnel, avec des rotors, des réacteurs et des turbines, et une chambre de compression qui étaient alimentés au fuel. Il y aura plusieurs versions étudiées, avec le principe de réacteurs et de turbines, qui comprimaient l'air, en l'éjectant sur son pourtour. Une partie de l'air pouvant être dirigé dans n'importe quel endroit de la périphérie du disque, afin d'assurer l'inclinaison et l'orientation de l'appareil. Le système de pilotage de l'engin se faisant en contrôlant ces flux et leur puissance, qui pouvaient aussi contribuer à la propulsion verticale ou horizontale de l'appareil (que l'on appelle "l'effet Coanda"). Exemple avec le plan ci-dessous:
Ce qui pouvait passer pour un avantage, la propulsion et le système de contrôle ne faisant en fait qu'un, deviendra en fait la plus grande difficulté à surmonter. Pour arriver à un engin maneuvrable et capable des performances attendues. Et ce prototype n'aboutira finalement pas.
Les estimations des performances attendues selon le constructeur devaient être:
Plafond maximum à pleine vitesse: 80600 pieds;
Vitesse maximale: 2300 miles;
Vitesse de montée: 1,76 minutes par 36090 pieds.
Le Projet Silver Bug dans les médias.
Effectivement, plusieurs journaux et magazines, aussi bien Américains que Canadiens, parleront de ce programme dès le début et ce, tout au long des années cinquante. Donnant indifféremment sans même le savoir, des informations sur les différents prototypes du projet Silver Bug.
Le magazine "Look", avait publié un article en juin 1955, disant que AV Roe, Canada, Ltd, le constructeur Canadien, avait en cours un programme de conception de soucoupe qui était en développement depuis 1953. Et qu'il avait été abandonné à cause du coût qui était jugé trop élevé pour obtenir un démonstrateur de vol (il s'agit en fait du projet MX 1794, qui sera bien abandonné). L'article évoquait également une réunion d'ingénieurs, où il avait été annoncé que de nouvelles contraintes de l'Air Force avaient été mise en place, concernant les exigences en matière de performances, qui seraient plus satisfaites par un aéronef en forme de soucoupe (ce que confirme le rapport déclassifié).
Le journal Canadien "Toronto Star", avait de son côté écrit dans son édition du 11 février 1953 que Avro-Canada, avait démarré un programme en 1953, pour élaborer une soucoupe volante. Et que leurs équipes travaillaient à l'usine de Malton, en Ontario. Le 16 février 1953, le ministre de la Production de défense a informé la Chambre des communes que Avro avait travaillé sur un "modèle à décollage vertical" d'une soucoupe volante qui serait capable de voler à 1500 miles à l'heure et de voler à la verticale.
Dans le journal de la société, "Avro News", le président de Avro-Canada avait déclaré que le prototype en cours de construction était "...si révolutionnaire que cela rendrait toutes les autres formes d'avions supersoniques obsolètes".
Et dans un supplément du mois de décembre 1954 d'une publication interne à l'Air Force, dénommée "Air Intelligence Digest" (volume 7, numéro 72), avec un article titré "le disque volant", parlant des travaux d'AVRO où figurait une illustration du prototype du projet.
A la suite de toutes ces "fuites" dans la presse, le Pentagone fera une conférence de presse dans laquelle l'armée reconnaitra l'existence du projet Silver Bug et qu'elle travaillait bien sur un engin en forme de soucoupe, et il sera d'ailleur présenté une illustration officielle du projet MX-1794.
Il faut bien le dire, ces divulgations dans les journaux à l'époque, même si elles ne donnaient pas toutes les informations, avaient entretenu une certaine confusion. Et en voyant l'Avrocar présenté au public, qui n'était pas le modèle présenté officiellement, il y aura une certaine suspicion, sur ce que pourrait cacher l'Air Force (et par certains côtés, on peut dire qu'elle perdure encore aujourd'hui).
Les différents d'aéronefs de la société AVRO.
Avec un même projet, partagé en deux programmes (un aux Etats-Unis et l'autre au Canada), plusieurs prototypes (certains abandonnés, d'autres retenus), le tout se déroulant sur plusieurs années, cela a certainement contribué à tout rendre assez confus, pour qui veut reconstituer les évènements. Et en voyant le résultat final avec l'Avrocar, qui de plus ne ressemblait pas à l'engin présenté dans les articles de presse et par le Pentagone; à l'époque, certains ont pensé qu'il n'aurait pu être en fait qu'un programme secondaire, "de façade". Et que la recherche sur le prototype de 1955, le MX-1794, aurait peut-être été poursuivie en secret. Plusieurs personnes à l'époque en avaient eu alors la conviction (3).
Il y avait bien plusieurs engins différents à l'étude pour Silver Bug, sur lesquels travaillera la société AVRO. Il y aura:
- Un appareil se type "tail sitter" en forme d'aile volante (projet Y) des études préliminaires qui avait été rejeté et s'appelait l'Oméga;
- Deux appareils de type "flat riser" ou "Radial-Flow Engine Aircraft" en forme de soucoupe (projet Y2), dont un seul sera retenu (le MX 1794/PV 704) mais dont la recherche n'aboutira pas;
- Le "Weapon System 606", qui était un fuselage classique sur une palte-forme de vol circulaire. Etudié pendant un temps après l'échec (et peut-être au même moment) du MX-1794/PV-704. Mais abandonné également;
- Et un dernier appareil, aussi de type "flat riser" (le VZ-9-AV), mais avec un concept légèrement différent de ce que voulait l'Air Force au départ et qui donnera naissance à l'Avrocar.
Les documents déclassifiés du projet Silver Bug.
On peut se demander ce que pourrait nous apprendre les documents déclassifiés.
Actuellement, à part quelques documents déclassifiés de la CIA (concernant surtout les possibles recherches Soviétiques dans le même domaine), peu de documents officiels sont disponibles du côté Américain. Il y a un rapport technique sur le projet Silver Bug, publié le 15 février 1955 et qui a été déclassifié le 29 Mars 1995, obtenu suite à une demande du 15 février 1998, par le biais de la loi FOIA, par le CUFON, "The Computer UFO Network" (4).
Questionné à ce sujet, l'Air Force a fait répondre par le service des relations publiques de Wright-Patterson Air Force Base, à Dayton, qu'aucun autre rapport sur ce projet n'était disponible et à ce jour déclassifié (mais il existe un autre rapport, qui doit en fait être le même, mais à la mise en page et à la présentation des informations différentes. Mais le contenu doit être identique).
(1) On présente souvent l'inverse, en disant que c'est le projet Y2 qui avait été abandonné, au profit du Projet Y, mais c'est une erreur. Cela est bien mentionné à la page 1 (Section 1 Caracteristics) dans le dernier paragraphe (B. Description of the proposed Aircraft) du rapport technique cité dans les sources. Pour plus d'informations, voir la partie 2.
(2) C'était plusieurs projets de l'US Navy avec les firmes Loockeed et Convair, et un de l'US Air Force avec la firme Ryan Aeronautical Corporation pour les appareil à décollage en ayant une position verticale. Il y avait déjà eu aussi des engin avec une forme plate, par les firmes Roll Royce et Bell.
(3) Encore aujourd'hui, beaucoup le pense.
(4) Pour télécharger le rapport, cliquez sur le lien, link
Sources:
"Technical Report n° TR-AC-47, Joint ATIC-WADC Report on Project Silver Bug", publié le 15 février 1955 par l'Air Technical Intelligence Center de Wright-Patterson Air Force Base, Ohio. Declassifié le 29 mars 1995;
Magazine Top Secret n°12;
www.cufon.org;
www.avroarrow.org.