LES "BLACK PROGRAM": LE PROJET HAVE DOUGHNUT
A la suite de cette chanceuse défection, et devant de nouveau faire face à des appareils Soviétiques lors de la guerre du Vietnam, les services secrets Américains décidèrent de tenter de se procurer un autre exemplaire d'avion de chasse Soviétique, qui était alors utilisé par les pilotes de la République socialiste du Vietnam. Et aussi bien-sûr de le tester, afin de connaitre ses capacités de vol. Cette tentative, dirigée par la DIA, "Defense Intelligence Agency" (l'agence de renseignement du ministère de la Défense) prit le nom de Projet "Have Doughnut". Le but étant trouver les points faibles des appareils ennemis afin de parfaire l'entraînement des pilotes Américains qui devraient les affronter. Le MIG-21 était à l'époque, avec le MIG-17 (qui avait remplacé le MIG-15), l'avion qui faisait la fierté de l'industrie aéronautique Soviétique.(2)
Le 16 août 1966, le capitaine Munir Redfa de l'armée de l'air Irakienne, déserta et se rendit en Israël, avec son MIG-21. Sa désertion avait été orchestrée par le gouvernement Israélien et cela permis à la fois à Israël et aux Etats-Unis, de connaitre les secrets technologiques de ce chasseur de combat Soviétique. Auxquels les deux pays pouvaient se trouver confrontés dans les années à venir. Ce qui se produisit d'ailleurs, avec la guerre du Vietnam pour les Américains et la guerre des six jours pour les Israéliens (les forces aériennes des pays arabes équipées de MIG-21, en comprenaient 18 en Syrie, 10 en Irak, et 34 en Egypte).
L'opération "Diamond" du Mossad.
Conformément aux ordres de l'ancien premier ministre Levi Eshkol, l'agence de renseignement Israélienne du Mossad, avait mise en place courant 1963, "l'opération Diamond" ("Mivtza Yahalom" en Hébreux), pour s'assurer de la défection de plusieurs pilotes Irakien. Meir Amitt, directeur du Mossad, avait désigné Rehavia Vardi, pour être commandant de l'opération.
La première tentative avait été menée en Egypte par l'agent du Mossad Jean Thomas. Thomas et son groupe devaient trouver un pilote qui, pour un million de dollars, serait d'accord pour faire atterrir son avion en Israël. Toutefois, cette première tentative échoua. Le pilote Egyptien qu'ils avaient contacté, Adib Hanna, avait informé les autorités de cette approche et de l'intérêt de Thomas pour les MiG. Thomas, le père de ce dernier, et trois autres personnes furent arrêtées et accusées d'espionnage. Thomas et deux autres ont été pendus en décembre 1962. Les trois autres membres du groupe furent condamnés à des peines de prison. Une deuxième tentative se solda également par un échec. Des agents du Mossad ayant dû finir par enlever et séquestrer deux pilotes Irakiens qui avait refusé de coopérer avec eux, afin d'éviter qu'ils ne parlent avant la fin, et le succès de l'opération.
Les agents du Mossad eurent par la suite plus de chance avec un pilote du nom de Redfa. Voici comment les choses se sont déroulées.
En 1964, un homme d'affaire juif Irakien, nommé Yosef Shemesh, a contacté les services secrets israéliens de Téhéran (Iran et Israël entretenaient encore à l'époque des relations diplomatiques) et aussi d'Europe occidentale. Il avait connu la famille de Refda, car il avait à l'époque une relation avec sa belle-seur. En effet, la seur de l'amie de Shemesh, était la femme d'un pilote Irakien nommé Munir Redfa. Redfa était frustré que ses convictions chrétiennes, avaient empêché sa promotion dans l'armée. Il était également bouleversé, d'avoir reçu l'ordre d'attaquer des positions kurdes. Yusuf comprît que Redfa était mûre pou la désertion et prêt à quitter l'Irak.
Un agent du Mossad parvint à se lier d'amitié avec Redfa. Ce dernier lui dit qu'il était forcé de vivre loin de sa famille à Bagdad, qu'il n'avait pas la confiance de ses commandants, et qu'on lui avait refusé un avancement de grade, selon lui en raison de son christianisme. Il avait aussi exprimé son admiration pour les Israéliens. Redfa a été persuadé de faire un voyage en Europe pour rencontrer des agents Israéliens. La rencontre entre Redfa et un officier de renseignement eu bien lieu, à l'aide d'un complice. Redfa s'est vu offrir 1 million de dollars, la citoyenneté Israélienne, et un emploi à temps plein. Les conditions concernant l'exfiltration d'Irak, de tous les parents de Refda furent acceptées. Plus tard, Redfa pût aussi se rendre en Israël, à Hastor, pour voir le terrain d'aviation qu'il allait devoir utiliser pour poser l'avion. Il a également rencontré le commandant des forces aériennes Israéliennes, le général Mordechaï "Mottie" Hod. Ils ont discuté des dangereuses conditions de vol et des risques, pendant le trajet qu'il aurait à faire pour arriver en Israël.
De nombreux agents du Mossad avaient été envoyés en Irak pour aider au transfert de la femme de Redfa, de leurs deux enfants, de ses parents et d'un certain nombre de membres de leur famille hors du pays. L'épouse de Redfa et ses deux enfants sont allés à Paris pour ce qu'elle croyait être des vacances d'été. Redfa, qui avait promis de la préparer à ce qui allait se passer, avez préféré ne rien lui dire. Lorsqu'elle fût contactée par un agent du Mossad, elle reçu en nouveau passeport Israélien, et fût ramenée en Israël. Les membres de la famille ont été pris à la frontière iranienne, où la guérilla Kurde les avait aidé à passer en Iran, d'où ils ont été emmené en Israël. (3)
Le 16 août 1966, le matin de sa désertion, le MIG de Redfa était équipé d'un réservoir de carburant auxiliaire (de 108 gallons). Cette précaution, était prise pour être assuré qu'il aurait suffisamment de carburant pour le vol jusqu'en Israël, situé à 560 miles de la base. Il volait normalement pour un vol d'entrainement. Après avoir grimpé à 30000 pieds, Redfa quitta l'espace aérien Iraquien sans problème, mais au-dessus de la Jordanie, il fût intercepté par deux "Hawker Hunter" de la Royal Jordanian Air Force qui ont tenté d'entrer en contact avec lui par radio. Même si ils n'ont pas obtenu de réponse de Redfa, ils lui ont permis de continuer, probablement à cause des couleurs Irakiennes de son appareil.Comme convenu, Redfa a été accueilli à la frontière Israélienne par deux Mirage III IAF, qui l'ont escorté jusqu'à un endroit prévue, pour lui assurer un atterrissage en toute sécurité.
Avec l'assistance de Redfa, le pilote d'essai Dani Shapira de l'armée de l'air Israélienne, a entrepris une évaluation détaillée des possibilités du MiG-21, selon un compte-rendu publié beaucoup plus tard dans les journaux du pays.
Après des essais en Israël, l'avion fût prêté et pris en charge en janvier 1968, par le gouvernement Américain, pour le faire parvenir jusqu'à la base secrète du Nevada, connue sous le nom "Area 51" ou "Groom Lake". C'est là qu'ils mirent le MiG-21 à l'épreuve d'une multitude de tests.
Ce MIG-21 (modèle MF) fût rebaptisé par le nom de code "YF-110D", afin que sa réelle provenance ne puisse pas être identifié, d'après les documents de vol et les échanges radio. Et reçu des cocardes Américaines (photo ci-dessous).
En 1968, Israël s'appropria deux MIG-17 Syriens.
Le 12 août 1968, Israël bénéficia d'une chance incroyable. Deux MIG-17 de l'armée de l'Air Syrienne étaient alors en vol pour un exercice de navigation dont ils devinrent, s'étant perdus, les malencontreux retardataires. Les lieutenants Walid Adham et Radfan Rifai, ayant mal reconnu le terrain, atterrirent par mégarde sur la piste du terrain de Beset, au nord d'Israël. Où ils furent tous les deux fait prisonnier, ainsi que leurs appareils.
Cette acquisition inespérée, se révéla très importante pour les forces Américaines, car le Vietnam du Nord utilisait aussi des MIG-17. Les deux MIG furent envoyés aux Etats-Unis, après que l'armée de l'air Israélienne, ait finit de les tester.
Le premier MIG-17 arriva en janvier 1969, et fût rebaptisé par le nom de code "YF-113A" (Il reçut comme n° d'immatriculation, le n° 055) et les tests et les évaluations en vol pour cet appareil, prirent le nom de "Projet Have Ferry".
Le second MIG-17, arrivé un peu plus tard en mars, fût rebaptisé par le nom de code "YF-114C" (Il reçut comme n° d'immatriculation, le n° 002) et les tests et les évaluations en vol pour cet appareil, prirent le nom de "Projet Have Drill". (4)
Les deux appareils, gardèrent leur camouflage d'origine mais reçurent des cocardes Américaines.
En 1969, un pilote Cubain déserta pour les Etats-Unis, avec son MIG-17.
La désertion volontaire d'un pilote Cubain aux commandes de son MIG-17, s'est produite le 5 octobre 1969, lorsque le lieutenant Eduardo Guerra terres Jimenez, arriva aux Etats-Unis dans son MiG-17A (immatriculé 232). Guerra Jimenez était l'un des leaders de l'escadrille du Régiment de Santa Clara, et il avait décollé pour un vol d'essai de son MiG-17, suite à des réparations sur son appareil. Il atterrit en Floride, à la Homestead Air Force Base.
Après cette désertion, il y eu une grande purge dans l'armée de l'air Cubaine, et des dizaines d'amis pilotes de Guerra Jimenez ou des proches furent expulsés à l'étranger. Mais comme les autorités Américaines avaient déjà deux MIG-17, ils acceptèrent de le rendre à Cuba. (5)
Durant la "Guerre Froide", deux autres pilotes Cubains s'envoleront aussi pour les Etats-Unis à bord de leur MIG.
Les autres moyens par lesquels les Américains réussirent à connaitre les secrets des autres modèles de chasseurs MIG.
En plus des différents modèles de MIG (MIG-15, MIG-17,...etc), il y avait aussi certaines spécificités, dont il leur fallait tenir compte. Par exemple, la construction du modèle d'un chasseur MIG par un pays Allié de l'Union Soviétiques, mais qui n'était pas du tout fabriqué en URSS. Il pouvait y avoir une grande différence, par rapport aux MIG de fabrication Soviétique, et peut-être se répercuter sur leurs performances en vol et donc au combat. Mais les services de renseignements Américains parvinrent tout de même à mettre la main sur de tels modèles.
Le 25 novembre 1970, une délégation Américaine se rendit au Cambodge, où elle pût inspecter et essayer en vol, un J-5A de l'armée de l'air Cambodgienne. Cet appareil, J-5A, était en fait la version, de fabrication Chinoise, du MIG-17 F Soviétique. Les tests se firent à la base Vietnamienne de Phu Cat et lorsqu'ils furent terminés, le pilote Cambodgien qui avait amené l'avion retourna à son bord à Pnom Penh. Cette opération était le Projet "Have Privilege". (6)
En 1970, les Américains réussirent à se procurer des MIG-15 bis et des MIG-17 bis (des versions améliorées des premiers modèles) qui étaient fabriqués "sous licence", en Chine. En les faisant acheter par l'intermédiaire d'une société, la "Combat Core Certification Professionals Company", la compagnie Core de certification des professionnels du combat. Ces MIG furent importés en pièces détachées dans des caisses.
Les tests et les évaluations en vol du MIG-21 et du MIG-17.
Comme le MIG-17 et le MiG-21 (le plus dangereux), étaient tous deux utilisés pendant la guerre du Vietnam, les analystes et les concepteurs de tactiques pour les vols de combat, avaient demandé de toute urgence une opération, afin de déterminer les performances de ces avions, comparativement à une sélection d'avions Américains, et de formuler des indications de tactiques précises à préconiser, pour les manoeuvres offensives et défensives adéquates. Les objectifs étaient d'évaluer l'efficacité de ces avions comme chasseur-intercepteur de jour et leur rôle secondaire dans l'attaque au sol.
Un groupe d'ingénieurs et de techniciens spécialisés en aéronautique, venant de l'Air Force, de la Navy et de plusieurs autres agences, travaillèrent sur ces appareils.
Pour le MIG-21, les tests débutèrent en février-mars 1968, et furent mené par le Detachment 3, du "Air Force Flight Test Center", à la base de Groom Lake (surnommé la "Zone 51"). (7)
Le MIG-21 dans son hangar (cliquez pour agrandir).
Le major Fred Cuthill, pilote d'essai, aux commandes du MIG-21, assisté par le major Jessy Larsen.
Pour les MIG-17, les opérations d'évaluations furent menées à la Tonopah Test Range (TTR), à 110 km au nord ouest de Groom Lake, dans la zone dénommée "Restricted Area-R 4809" (surnommée la "Zone 52") où les deux projets avaient été transférés. Elles étaient dirigées par le colonel Wendell Shawler, qui était l'officier responsable des projets "Have Drill" et "Have Ferry". Les tests pour les deux appareils, effectué par le 6512ème "Test Squadron of the Special Project Branch", débutèrent dès leur arrivée à Tonopah et se terminèrent en juillet 1970.
Une batterie de tests pour le MIG-17 "Have Ferry".
Ces tests étaient tous réalisés sous la responsabilité de la "Foreign Technology Division", un service de "l'Air Force System Command".
La continuité des essais avec la création d'un nouveau programme.
Pour aller dans la continuité des tests et des évaluations des MIG Soviétiques. Un nouveau programme commença en mai 1973, il prit le nom de Projet "Have Idea". Il avait pour but l'étude de la technologie des avions étrangers, quel que soit leur origine, et plus seulement des MIG. (Même si, bien sûr, les avions Soviétiques tenaient une place à part, vu l'importance de l'ennemi, que représentait alors, encore à l'époque, le "Pacte de Varsovie").
De ces essais, découlèrent la création de deux nouvelles unités, pour continuer d'évaluer au mieux les capacités des appareils. Et aussi, de pouvoir commencer à former les pilotes, pour leur apprendre comment réagir au mieux, durant un combat. En juillet 1975, le 4477ème TEF, "Tactical Evaluation Flight", évaluation de vol tactique (surnommé les "Red Eagles") a été formé à la Nellis Air Force Base pour s'occuper de l'évaluation tactique. En décembre 1977, le 6513ème "Test Escadron", escadrille d'essais (surnommé les "Red Hats") a été formé à la Edwards Air Force Base pour effectuer les évaluations techniques. Le 1er avril 1977, le 4477ème TEF a été réaffecté à Tonopah.
En 1977, le Projet "Have Idea" a été rebaptisé, Projet "Constant Peg". Et son objectif fût de s'orienter désormais, définitivement à la formation des pilotes. "Constant Peg", "devait accorder aux pilotes l'occasion d'apprendre à lutter contre les avions ennemis dans un environnement contrôlé et sécurisé sans avoir à supporter les risques du combat aérien réel".
La 4477ème TEF, toucha même deux nouveaux modèles de MIG. Trois pilotes Syriens avaient déserté et étaient parti avec leur MIG-23 et MiG-29 pour la Turquie en 1988 (la Turquie faisant partie de l'OTAN, les Etats-Unis récupérèrent les trois appareils). En 1989, un autre pilote Syrien atterri avec son MIG-25 en Israël. Cela fit que, grâce toutes ces désertions survenues au cour des années, les Américains possédaient un ou plusieurs exemplaires de chaque modèles de MIG existant.
Les membres de la 4477ème TEF en 1986, posant devant un MIG-21 de l'armée Indonésienne.
Avec la fin de la guerre froide, la 4477ème TEF a était démantelé et cessa d'exister en 1990.
En 2006, le projet Constant Peg a été déclassifié et l'US Air Force a tenu une série de conférences de presse au sujet du secret maintenu sur ces MIG, détenu par les Américains. L'Air Force révéla que les MIG avaient effectué plus de 15000 sorties et près de 7000 pilotes et membres d'équipage avaient volé durant leur formation, contre ces "agresseurs" MIG pour parfaire leur entrainement, dans le désert du Nevada entre 1980 et 1990.
A la suite de cette succession de différents projets, plusieurs écoles de combat et de tactique aérienne virent le jour par la suite. La US Navy, avec "Top Gun" et ses premiers vols au NAS (Naval Air Station) de Miramar, en Californie. Puis au NAS de Fallon, dans le Nevada. Peu après, l'US Air Force commença ses exercices "Red Flag" à la base de Nellis, dans le Nevada.
(1) Pour plus d'informations, voir "Les Black Program: Le Projet Moolah".
(2) En URSS, cet avion a été construit entre la fin des années 50 et le milieu des années 70. Le MiG-21 est le plus élevé en nombre de chasseurs produit (11000) et pour la durée de vie en service (jusqu'à 30 ans). C'est pourquoi environ 3000 MiG-21 équipent encore maintenant les forces aériennes de plus de 40 pays.
(3) Après être resté en Israël un certain temps, Refda et sa famille furent envoyés en Europe, pour plus de sécurité pour eux. Refda est mort d'une crise cardiaque en 1998.
(4) Le nom de code du chasseur Mig-21 appliqué par l'OTAN était "Fishbed", et celui du chasseur Mig-17, était "Fresco". Des lettres étaient ajoutées pour identifier les différents modèles.
(5) Après avoir fini de l'étudier brièvement, le MiG-17 a été rendu à Cuba par les Américains. Le capitaine Rafael del Pinoa était le responsable des tractations pour rapatrier l'avion et James Raul Perez, le pilota pour le ramener à Cuba.
(6) N'oublions pas qu'à ce moment, la guerre du Vietnam n'était pas encore terminée et le Vietnam du Sud était l'allié des Etats-Unis.
(7) Après avoir terminé leur travail de tests, les Américains rendirent le MIG-21 à Israël. Il se retrouva au musée Hatezrin de l'IAF (le musée de l'armée de l'air Israélienne), près de Beer Sheva, où il est toujours entreposé actuellement.
Sources:
www.air-forcemagazine.com;
www.ynetnews.com;
www.military-heat.com;
www.af.mil;
"Israël secret war - A history of Israël's intelligence services, par Ian Black et Benny Morris, Editions Grove Press;
"Red Eagles: American's secret MIGs", par Steve Davies, Editions Osprey Publishing.