ATTENTATS DU 11 SEPTEMBRE: LA CONTRE-ENQUÊTE (Partie 53)
Ce que nous apprend le rapport de la Commission sur les agissements des différentes agences gouvernementales envers Al Qaïda et Ben Laden entre 1995 et 2001 (suite).
Le double jeu de la CIA.
Dans les semaines et les mois qui suivront le 11 septembre, les documentaires télévisés sur Al Qaïda et ses relations avec la CIA, datant de la collaboration des Talibans avec l'agence de renseignements durant l'occupation de l'Aghanistan par les Soviétiques n'ont pas manqués. Et les rapports étroits avec les futurs terroristes, qui seront désignés comme les auteurs des attentats, ont été largement développés, notamment dans de nombreux ouvrages.
Comme nous l'avons vu précédemment, les responsables de l'administration Bush se complaisaient volontairement dans l'inaction envers Ben Laden et Al Qaïda, et le département d'état sera d'une grande passivité (1).
Que la CIA jouait en fait un double jeu, le rapport de la Commission d'enquête apporte de nombreuses informations. Notamment sur les rapports ambigus qu'entretiendra la CIA avec les autres organismes du gouvernement durant les années 1997-2001, ainsi que l'inaction du département d'état, à l'encontre de Ben Laden (Chapitre 4, "Les ripostes aux premières attaques d'Al Qaïda", link).
La création de la cellule "Ben Laden" de la CIA.
"En 1996, la CIA mit sur pied une unité spéciale composée d'une douzaine d'agents chargée d'analyser les renseignements et de planifier des opération contre Ben Laden. David Cohen, qui était à la tête de la direction des opérations de la CIA, voulait tester l'idée d'une "base virtuelle" - une base établie concrètement dans des quartiers généraux, mais qui pourrait collecter des renseignements et mener des opérations contre une personne à la manière dont les bases militaires le font contre un pays. A l'initiative du conseiller pour la Sécurité nationale Anthony Lake, qui s'intéressait de près au financement terroriste, Cohen organisa sa base virtuelle comme une unité chargée des réseaux financiers du terrorisme. Il éprouva des difficultés à placer à sa tête un responsable en charge de la directions des opérations; il finit par recruter un ancien analyste qui s'occupait alors, au sein du Centre antiterroriste, de la branche concernant l'extrémisme islamique. Ce responsable, qui connaissait très bien l'Afghanistan, avait remarqué que de récents rapports faisaient état de Ben Laden et de quelque chose du nom d'Al Qaïda. C'est ainsi que la cellule Ben Laden vit le jour." (page 109 version US et page 134 version Française).
On voit que la cellule a un statut particulier ("base virtuelle"); une structure implantée dans les QG ("...une base établie concrètement dans des quartiers généraux...", avait-elle des représentants dans d'autres organismes liés à la sécurité nationale ?); mais qu'elle a néanmoins de grands moyens d'intervention ("...qui pourrait collecter des renseignements et mener des opérations contre une personne à la manière dont les bases militaires le font contre un pays..."). Elle peut donc avoir recours aux force armées, ce qui n'est pas rien.
On remarquera que Cohen choisit comme responsable pour la cellule Ben Laden - alors que d'après le rapport il aurait du mal à trouver quelqu'un pour le poste à pourvoir - "un ancien analyste qui s'occupait alors, au sein du Centre antiterroriste, de la branche concernant l'extrémisme islamique"...; ...qui connaissait très bien l'Afghanistan,...; et avait ...remarqué que de récents rapports faisaient état de Ben Laden et de quelque chose du nom d'Al Qaïda". Il ne choisit donc pas n'importe qui (nous avons déjà l'agent adéquat pour le futur triptyque officiel "Ben Laden/Terrorisme Islamiste/Afghanistan). Et cette personne n'est pas nommée dans le rapport (nous y reviendrons plus loin).
"...Et en 1997, les membres de la cellule Ben Laden furent donc convaincus que Ben Laden était plus qu'un simple financier. Ils apprirent qu'Al Qaïda disposait d'un conseil militaire qui planifiait des opérations contre les intérêts américains dans le monde et qui essayait activement d'obtenir des matériaux nucléaires. Les analystes qui travaillaient pour la base de données virtuelle étudièrent les renseignements obtenus et "constatèrent des liens étroits partout", y compris avec les attaques contre les troupes américaines à Aden et en Somalie en 1992 et 1993, et avec le complot aérien de Manille aux Philippines en 1994-1995.
La cellule Ben Laden travaillait déjà sur des projets d'opérations offensives contre Ben Laden. Ces projets visaient aussi bien des cibles physiques que des sources de financement. Finalement, les projets élaborés pour identifier et attaquer les sources financières de Ben Laden ne furent pas menées à bien". (page 109 version US et page 135 version Française).
En 1997, les renseignements présentaient donc Al Qaïda comme étant une entreprise terroriste de grande envergure. Se basant d'après des informations sur son implication dans les attentats contre l'armée Américaine en 1992 et 1993, et un projet de détournement d'avion à Manille en 1994-1995. Et toujours la même année en 1997, la cellule Ben Laden préparait déjà des opérations pour éliminer des terroristes que de faire cesser le financement d'Al Qaïda. Mais ce dernier objectif ne fût pas réalisé ("...Finalement, les projets élaborés pour identifier et attaquer les sources financières de Ben Laden ne furent pas menées à bien"). Le rapport reconnait donc que rien n'avait été fait pour identifier la source, ni même pour empêcher le financement du groupe terroriste, mais sans expliquer pourquoi.
Comme entre 1997 et 2001, Ben Laden ne fût pas éliminé physiquement et comme il n'y a eu aucune action pour faire cesser le financement et identifier la provenance des fonds, on peut affirmer que la "cellule Ben Laden", en 1996-1997, a été totalement inopérante dans ses résultats.
"Le responsable de la cellule Ben Laden, que nous appellerons "Mike", considéra le départ de Ben Laden pour l'Afghanistan comme un coup de chance. Même si la CIA avait pratiquement abandonné l'Afghanistan après le retrait soviétique, des enquêteurs avaient réactivé d'anciens contacts...; ...Ces contacts permirent de collecter des renseignements sur les déplacements de Ben Laden, ses activités professionnelles, sa façon de vivre et d'assurer sa sécurité. Ils permirent également de prouver qu'il dépensait des sommes très importantes pour aider les Talibans. Le patron du centre antiterroriste, que nous appellerons "Jeff", avertit le directeur George Tenet que le capital de renseignements obtenus par la CIA "permettait pratiquement d'obtenir des informations en temps réels sur les déplacements de Ben Laden en Afghanistan." (page 109 version US et page 135 version Française).
Ici, le responsable de la cellule Ben Laden est dénommé par le pseudonyme de "Mike", et celui du centre antiterroriste, celui de "Jeff". Ce que l'on apprend, c'est que la CIA est extrêmement bien renseigné sur tout ce qui touche Ben Laden (déplacements; activités professionnelles; mode de vie; système de protection). Et qu'ils ont les moyens d'avoir pratiquement "des informations en temps réels" sur ses déplacements dans le pays. La CIA disposait donc, en 1996-1997, de toutes les informations utiles, pour une intervention à l'encontre de Ben Laden (à la limite, on pourrait dire qu'ils étaient au courant de tout). Et en matière d'intervention possible, la CIA avait étudié l'enlèvement de Ben Laden en 1997-1998.
La préparation de l'enlèvement de Ben Laden par la CIA.
"La CIA élabore un plan de capture
"A l'origine, le centre antiterroriste du DCI et sa cellule Ben laden envisageait un plan pour tendre une embuscade à Ben Laden lorsqu'il se déplaçait entre Kandahar, la capital des Talibans où il passait parfois la nuit, et sa résidence principale à l'époque, Tarnak Farms. Mais quand les tribus afghanes expliquèrent qu'elles avaient déjà essayé de tendre ce genre de piège, et qu'elles avaient échoué, le centre renonça à cette idée,...".
"...Par la suite, le plan de capture s'élabora autour autour de l'idée d'un raid nocturne sur Tarnak Farms.
Un camps d'environ 80 bâtiments de béton ou de briques et entouré d'un mur d'environ 3,5 mètres de hauteur, Tarnak Farms était situé dans une zone désertique isolée dans les environs de l'aéroport de Kandahar. Des agents de la CIA purent faire un plan complet, identifier les maisons qui appartenaient aux épouses de Ben Laden et aussi la maison où Ben Laden lui-même était le plus susceptible de dormir. En travaillant étroitement avec les tribus, ils élaborèrent les plans du raid. Lors de l'automne 1997, aux Etats-Unis, ils se livrèrent à deux simulations complètes. (page 111 version US et page 137 version Française).
Début 1998, les cerveaux de ce plan de capture du centre antiterroriste étaient prêts à revenir à la maison Blanche pour soliciter un feu vert officiel Tenet discuta vraisemblablement de ce plan avec le conseiller pour la Sécurité nationale Sandy Berger le 13 février. Une des tribus neutraliserait les gardes, entrerait dans Tarnak Farms à la dérobée, se saisirait de Ben Laden et l'emmènerait jusqu'à un endroit désert à l'extérieur de Kandahar, puis le remettrait à un second groupe. Cette seconde tribu le conduirait alors jusqu'à une zone d'atterrissage déserte à l'extérieur de Kandahar, déjà utilisée lors de la capture de Kansi en 1997. De là, un avion de la CIA le conduirait à New york, ou dans une capitale arabe, ou dans n'importe quel autre lieu choisi pour le traduire en justice."...; "...Le groupe de sécurité antiterroriste de Clarke fit à Berger le compte rendu du plan de capture. L'équipe du Conseil national de sécurité (NSC) remarquant que le plan en était encore "à un stade peu avancé d'élaboration", demanda alors à ses concepteurs de la CIA de continuer son travail, et, entre autre, de commencer à rédiger les documents légaux nécessaires pour autoriser une opération secrète."... (pages 111-112 version US et pages 137-138 version Française).
Les informations transmises par la CIA au Conseil national de sécurité sont différentes de celles du centre antiterroriste de la CIA, et de celles du Pentagone.
"Les cerveaux du plan de la CIA firent leur troisième simulation complète en mars, et ils en tinrent de nouveau le CSG informé. Clarke écrivit à Berger pour lui dire qu'il considérait que l'opération en était à un stade "encore embryonnaire" et que la CIA "mettrait des mois avant d'entreprendre quoi que ce soit." (page 112 version US et pages 138 version Française).
La Commission cherche à faire croire que si le plan n'aurait pas été validé par le Conseil national de sécurité, ce serait à cause de Clarke, parce que ce dernier ne l'estimait, ne pas encore être à un niveau suffisamment avancé. Mais il faut bien comprendre que si Clarke se base pour dire de telles choses, c'est d'après les rapports que lui feront parvenir la CIA. La CIA mène donc un double jeu, dans la production d'informations à l'attention du NSC et le CSG. Parce que, si elle transmet des informations faisant croire que l'opération d'enlèvement ne serait pas encore au point, celles qui parviennent et circulent au QG de la CIA et même au Pentagone, disent totalement le contraire.
"Mike" pensait que ce plan était "l'opération parfaite". Il ne nécessitait qu'une infrastructure minimale. Le plan fût alors modifié pour que les tribus puissent garder Ben Laden caché pendant un mois si nécessaire avant de le remettre au Etats-Unis. Ce qui permettait ainsi de laisser dans l'ombre le rôle joué par les Etats-Unis. "Mike" faisait confiance aux renseignements du réseau afghan; d'autres sources les avaient corroborés, nous a-t-il affirmé. L'officier de la CIA qui dirigeait les opérations sur le terrain, Garry Schroen, faisait également confiance aux tribus. Dans un message daté du 6 mai adressé au siège central de la CIA, il décrivait leur plan comme "quasiment aussi professionnel que ce que ferait n'importe quel militaire américain en charge des opérations spéciales". Lui-même ainsi que les autres agents qui avaient élaboré le plan avec les tribus le jugeait "aussi bon que possible..."." (page 112 version US et page 138 version Française).
"Des officiers militaires examinèrent le plan de capture et, selon "Mike", n'y trouvèrent aucune faille criante. Le commandant de la Force Delta était réticent à l'idée que les tribus retiennent Ben Laden prisonnier si longtemps...; ...Mais un officier supérieur de l'état-major décrivit le plan comme "n'étant pas, de manière générale, si différent de ce que nous aurions pu nous-même élaborer". Personne, pour autant que nous le sachions, ne recommanda à la CIA ou à la Maison Blanche de ne pas continuer." (page 113 version US et pages 138-139 version Française).
Il y a bien deux sons de cloches, de la part de la CIA, par la diffusion de rapports volontairement erronés, pour le Conseil national de sécurité, puisque l'on se rend bien compte, qu'à la CIA et au Département de la défense, sont diffusées d'autres renseignements. D'ailleurs, un autre élément le démontre bien, c'est la description que font les militaires des camps d'Al Qaïda, qui est complètement différente de celle de la CIA. Ce sera la déclaration du secrétaire à la Défense en 1998, quand il sera question de frapper des camps d'entrainement de Ben Laden avec des missiles de croisières, qui aura bien lieu le 20 août 1998 (que nous verrons plu loin). Et, même si les Etats-Unis ne veulent pas que l'on sache que ce sont eux qui enlèvent Ben Laden à l'aide d'une unité des "Delta Force", pourquoi ne veulent-ils pas le récupérer immédiatement et que les tribus puissent le garder pendant un mois ? Cela aurait-il pû être la manière de procéder dans les années qui suivront le 11 septembre pour s'emparer de Ben Laden ? Mettre la main sur lui et le détenir au secret pendant un certain temps, avant de prendre la décision de le supprimer et pouvoir présenter sa mort officielle au moment opportun (le 30 avril 2011) ? (nous y reviendrons).
La CIA avait déjà une autorisation présidentielle pour réaliser des opérations secrètes antiterroristes depuis plus de dix ans.
La Commission laisse aussi entendre qu'il aurait fallu l'approbation de la Maison Blanche et des "documents légaux nécessaires pour autoriser une opération secrète", pour lancer l'opération de la capture de Ben Laden. Cela est complètement faux. La CIA n'avait besoin d'aucun ordre écrit de la Maison Blanche, pour une telle action. La raison est que l'assise légale nécessaire pour autoriser une opération secrète, quelle qu'elle soit, existait déjà, bien avant 1998. C'est d'ailleurs le rapport de la Commission qui l'écrit:
"Le 18 mai, des responsables de la CIA rédigèrent les grandes lignes d'un Mémorandum de notification (MON), un document légal autorisant l'opération de capture. Une Directive présidentielle datant de 1986 avait autorisé des opérations secrètes à l'échelle mondiale pour lutter contre le terrorisme et offrait ainsi très certainement toute latitude pour agir."... (page 113 version US et pages 139 version Française).
La CIA n'a donc, pour réaliser des opérations clandestines antiterroristes (et ce, dans n'importe quel endroit du monde), aucune autorisation préalable à demander, puisse la Directive de 1986 le lui permet déjà. La question d'avoir ou non le feu vert de la présidence pour agir n'avait donc pas lieu d'être. D'un côté, elle met un plan de capture au point, tandis que de l'autre, elle ne le met pas immédiatement a exécution, sous prétexte qui lui faudrait auparavant une autorisation officielle. En fait la CIA cherche tout simplement à gagner du temps, en faisant des démarches administratives facultatives pour obtenir une autorisation qui n'était pas nécessaire. Puisqu'elle l'a détient déjà du pouvoir exécutif (Directive présidentielle de 1986).
La mise en accusation de Ben Laden par un Grand Jury en juin 1998.
"Des agents du centre antiterroriste mirent au courant l'attorney général Janet Reno et le directeur du FBI Louis Freech en expliquant que l'opération avait environ 30% de chance de réussir. Le dirigeant du centre, "Jeff", rencontra John O'Neil, le patron de l'antenne du FBI à New York, lors d'une réunion avec Mary Jo White, l'attorney fédéral pour le secteur Sud de New York, et avec son équipe...; ...White sortit de la réunion de New York convaincue que les chances de capturer Ben Laden étaient nulles." (page 113 version US et page 139 version Française).
Le département de la Justice et le FBI apprennent donc le projet de capture de Ben Laden. Et malgré les dires de "Jeff", que le plan aurait peu de chances de réussir (encore deux façons de présenter les choses par la CIA), le FBI et le district attorney Mary Jo White feront une demande pour que Ben Laden soit mit en accusation:
"De leur côté, à l'aide de renseignements mais sans l'ordre officiel de la CIA, le bureau du FBI de New York et l'Atorney (fédéral) du district sud de New York se préparaient à demander à un grand jury de mettre Ben Laden en accusation. Le centre antiterroriste était au courant de ces intentions. La charge retenue, à savoir une conspiration pour attaquer des dispositifs de défense américains, fut finalement formulée par le Grand Jury en juin 1998 - mais il s'agissait d'un mise en accusation secrète. Cette mise en accusation fût rendue publique en novembre de la même année." (page 110 version US et page 136 version Française).
On peut penser que si il y a eu minimisation des chances de capture par "Jeff", ça l'aura été pour dissuader le FBI et le District Atorney du Sud de New York, de faire leur demande de mise en accusation. Puisque, "le centre antiterroriste était au courant de ces intentions". Parce que, le rapport dit bien qu'il ont agi "sans l'ordre officiel de la CIA". Cela veut donc dire que pour avoir une mise en accusation de Ben Laden, la CIA pouvait très bien en faire la demande elle-même. Mais elle ne le fait à aucun moment, alors que bien-sûr, cela allait de pair avec le projet d'une capture de Ben Laden. Et alors qu'elle détenait déjà des renseignements depuis 1997 le désignant comme un terroriste responsable d'attentats entre 1992 et 1995, il faudra attendre juin 1998 pour qu'il y est une mise en accusation (secrète). On voit que la CIA joue aussi un double jeu envers le FBI et le Département de la Justice.
Le directeur de la CIA recommande qu'aucune autre action Américaine ne soit menée contre Ben Laden.
Etrangement, alors qu'une opération de capture et en préparation, le jour même de l'accusation (secrète) par un grang jury, le directeur de la CIA fera une étrange recommandation:
"Le grand jury de New York délivra son acte d'accusation secret quelques jours plus tard, le 10 juin. Tenet recommanda également qu'aucune autre action stratégique américaine ne fût mise en oeuvre, comme par exemple, un projet d'opération secrète." (page 115 version US et page 141 version Française).
Pourquoi une telle recommandation ? Le projet de capture allant de pair avec l'acte d'accusation. S'il y a accusation par un grand jury, c'est parce que l'on veut voir Ben Laden jugé. Et pour qu'il se retrouve devant une cour fédérale, il fallait le capturer. Mais en interdisant les opérations secrètes, Tenet empêchait bien-sûr par contre-coup une opération de capture. Nous avons bien-là une contradiction majeure et la volonté manifeste que Ben Laden ne soit pas détenu, par le directeur de la CIA lui-même.
L'opération pour la capture de Ben Laden est stoppée par la CIA.
"Du 20 au 24 mai, la CIA organisa une dernière simulation de l'opération, qui se déroula sur trois fuseaux horaires et qui impliqua même des employés locaux. Le FBI y prit part également. La simulation se déroula sans encombre. Le centre antiterroriste décida de mettre au courant les directeurs des différents cabinets ministériels ainsi que leurs adjoints la semaine suivante et arrêta la date du 23 juin pour le raid, et celle du 23 juillet au plus tard pour faire sortir Ben Laden d'Afghanistan." (pages 113-114 version US et pages 139-140 version Française).
Donc peu après le 24 mai, tout est en place. Le plan est approuvé (il y eu quatre simulations de l'enlèvement, on est loin d'un plan qui ne serait pas au point ou à l'état "embryonnaire"). Et les différents ministères sont mis au courant, et la mise en accusation par un grand jury arrive en juin. Le raid est prévu pour le 23 juin. Alors, pourquoi n'a-t-il pas eu lieu ? Et bien parce que la CIA cherchera encore à faire trainer les choses et ce sera le directeur de la CIA Tenet, qui montrera des réticences, dès le 20 mai.
"Le 20 mai, le directeur Tenet eut une discussion avec Berger et ses adjoints au sujet de l'opération et du risque élevé qu'elle impliquait, et il avertit qu'il pourrait y avoir des morts, y compris Ben Laden...; ...Une réunion des responsables devait avoir lieu le 29 mai afin de décider de la poursuite de l'opération.
Cette réunion n'eut pas lieu. Le 29 mai, "Jeff" informa "Mike" qu'il venait de rencontrer Tenet, Pavitt et le chef de la direction de la division du Proche-Orient. Ils avaient décidé de ne pas poursuivre l'opération. "Mike" fit parvenir aux hommes de terrain un message expliquant qu'on lui avait ordonné de "geler l'opération pour le moment". On lui avait expliqué, écrivit-il, que les responsables ministériels estimaient que les risques de pertes civiles - dommages collatéraux -étaient trop élevés. Ils s'inquiétaient du danger encouru par les tribus, et ils avaient emis le souci que "le but et la nature de l'opération conduirait inévitablement à des erreurs d'interprétation et à des déformations - et très probablement à des protestations - si Ben Laden, malgré nos meilleurs intentions, ne survivait pas".
Il est difficile d'établir avec certitude qui décida de ne pas poursuivre l'opération. Clarke nous a affirmé que le Centre de sécurité antiterroriste trouvait le plan défectueux...; ..."Jeff" pensait que la décision avait été prise au niveau ministériel. Pavitt estimait que cela venait de Berger, même s'il y avait peut-être eu l'intervention de Berger. Tenet nous a affirmé que, étant donné la recommandation de ses officiers supérieurs en charge des opérations, il avait seul décidé de stopper l'opération...; Berger en garde un souvenir identique. Il affirma que le projet ne fût jamais présenté à la Maison Blanche pour solliciter son aval." (page 114 version US et page 140 version Française).
Les scrupules des "responsables ministériels", évoqués dans le rapport font il faut bien le dire, doucement sourire, quand on connait les antécédents des manoeuvres Américaines, durant ou depuis le temps de la "Guerre Froide" (ils n'avaient pas autant d'attention pour les tribus afghanes, quand les Etats-Unis les soutenaient et les incitaient à faire la guerre à l'occupant Soviétique, pour ne prendre que cet exemple). Et comment pourrait-il y avoir des victimes civiles, alors que la CIA dit que "Tarnak Farms était situé dans une zone désertique isolée...". Et la raison invoquée: "l'opération conduirait inévitablement à des erreurs d'interprétation et à des déformations - et très probablement à des protestations" si Ben Laden venait à mourrir, montre que les "responsables ministériels" ont alors des pudeurs que les responsables de l'Administration Américaine n'ont pour ainsi dire, jamais eu jusque-là, ou très rarement.
A peine bouclé peu après le 24 mai, le 29 mai l'opération est donc stoppée. Chacun se renvoit la balle sur l'origine l'ordre de l'arrêt de l'opération, mais au final, c'est Tenet qui en assume lui-même la responsabilité. Donc après un an d'effort par la cellule Ben Laden, pour mettre au point un plan de capture, quand celui-ci va enfin être mis en oeuvre, il est annulé par le directeur de la CIA, à peine cinq jours plus tard. Le choix de ne rien intenter contre Ben Laden, de la part de la CIA et de responsables ministériels est sans ambiguïté. Et le fait que "...le projet ne fût jamais présenté à la Maison Blanche pour solliciter son aval" (sous-entendu, la CIA n'avait pas l'autorisation du président), est sans objet, puisque, comme nous l'avons vu plus haut, la CIA avait déjà le droit d'intervenir comme bon lui semble.
"Pour résumer, à la fin de l'année 1997 et au printemps 1998, les principales agences américaines s'efforçaient, chacune dans leur coin, de lutter contre Ben Laden. Le centre antiterroriste de la CIA élaborait un plan pour le capturer et l'enlever d'Afghanistan. Des membres du ministère de la Justice prévoyait de le mettre en accusation et de rendre possible son procès criminel devant une cour de New York. Pendant ce temps, le département d'état se préoccupait davantage de diminuer les tensions nucléaires entre l'Inde et le Pakistan, de mettre un terme à la guerre civile en Afghanistan et de lutter contre les atteintes aux droits de l'homme commises par les Talibans, au lieu de pourchasser Ben Laden." (page 111 version US et page 137 version Française).
Mais dans les faits, à part la demande de mise en accusation par des membres du ministère de la Justice, il ne se passe rien. La CIA avait bien élaboré un plan pour l'enlèvement de Ben Laden, mais elle l'a elle-même suspendu. Aucun ordre ne vient du Conseil national de sécurité, ni de la présidence. On aurait pu croire que l'inaction vis-à-vis d'Al Qaïda aurait pu prendre fin suite aux attentats du 7 août 1998 contre les ambassades des Etats-Unis de Nairobi au Kenya et de Dar Es Salaam en Tanzanie. Mais comme nous allons le voir, même si la stratégie de riposte change, à part une frappe par des missiles de croisière sur quelques bases de Talibans en Afghanistan en août 1998, la situation restera la même.
Un cabinet interne de décideurs au sein du centre de sécurité antiterroriste (CSG).
Le rapport de la Commission parle d'une structure très discrète faisant partie du CGS:
"...Dans les faits, le CSG en référait souvent, non pas à la commission de tous les responsables, mais davantage à ce que l'on appelait la "Petite Équipe" formée par Berger, et seulement constituée de directeurs autorisés à traiter des questions les plus sensibles liées aux activités d'antiterrorisme concernant Ben Laden...". (page 120 version US et pages 146-147 version Française).
Il y avait en 1998, un petit comité de directeurs (qui ne sont pas nommés) ayant une influence dans le système de prises de décisions concernant Ben Laden. Il y avait donc l'existence d'un groupe de personnes, pouvant faire office d'un "commandement et de prises de décisions parallèle" (système que nous aurons aussi sous le mandat Bush par la restructuration du NSC par Condoleezza Rice, avec le "Comité des adjoints", comme nous l'avons déjà vu).
Le Plan "Delenda" de Richard Clarke.
"A l'intention de ce cabinet interne, Clarke élabora ce qu'il appela "le plan politique et militaire Delanda". Le mot latin delenda, qui signifie que que quelque chose doit être détruit...; ...le but global du projet élaboré par Clarke était "d'éliminer sans délai toute menace significative visant des Américains" émanant du réseau Ben Laden". Le projet prônait que la diplomatie réduise à néant le sanctuaire de Ben Laden, que les activités terroristes soient mises à mal par des opérations secrètes, et, par-dessus tout, que Ben Laden et ses lieutenants soient capturés et livrés à la justice. Le projet préconisait également l'assèchement des réserves financières de Ben Laden...; ...Le statut du document était est demeure incertain. Il ne fût jamais officiellement adopté par les directeurs, et les membres de la Petite Équipe n'en ont aujourd'hui que peu ou pas de souvenir du tout..."."
"La composante militaire du projet de Clarke en était la plus détaillée. Clarke envisageait une campagne incessante de frappes contre les bases de Ben Laden, en Afghanistan, ou ailleurs, à chaque fois que l'on disposait de renseignements avérés sur les cibles...; ...Il défendit l'idée que des vagues d'attaques successives pourraient convaincre les Talibans de leur remettre Ben Laden et que, dans tous les cas, cela démontrerait que l'opération du mois d'août n'était pas un évènement isolé. Cela prouverait que les Etats-Unis s'engageaient dans une lutte implacable pour venir à bout des réseaux terroristes.
Les membres de la Petite Équipe ne furent pas convaincus des mérites de ces vagues d'attaques. Le ministre de la Défense, William Cohen nous dit que les camps d'entrainement de Ben Laden étaient primitifs, construits avec des "échelles de cordes". Le général Shelton les a qualifié de "gymnases dans la jungle". Aucun n'y voyait de cibles dignes d'intérêt pour des missiles très onéreux." (page 120 version US et page 147 version Française).
La "Petite Equipe" de décideurs ne retient donc pas le plan de Clarke et la Commission voudrait faire croire que son statut serait "incertain", pour le minimiser (alors qu'il s'agit bien d'un plan rédigé par Richard Clarke, responsable du Centre de Sécurité antiterroriste du Conseil National de Sécurité). Ils ne veulent pas non-plus d'autres frappes contre les camps d'Al-Qaïda. Et au passage, les militaires disent que d'après leurs renseignements, les camps à détruire sont carrément "minables" dans leurs infrastructures (ce qui est contraire à la description qu'en faisait la CIA).
L'opération pour la capture de Ben Laden remise à l'ordre du jour.
"Un des aspects de la riposte aux attentats visant les ambassades résida dans le fait que le président Clinton signa un Mémorandum de notification qui autorisait la CIA à laisser les tribus travaillant avec elle à user de la force pour capturer Ben Laden et ses associés. Des agents de la CIA annoncèrent aux tribus que le plan de capture de Ben Laden avait été "mis au rencard" trois mois auparavant, était de nouveau d'actualité. Le Mémorandum autorisait également la CIA à attaquer Ben Laden par d'autres voies. De même, un ordre d'exécution gelait les avoirs financiers liés à Ben Laden."... (page 126-127 version US et pages 154-155 version Française).
"...Lors de la préparation de la commission parlementaire du Sénat sur le Renseignement, le 2 septembre, on dit à Tenet que l'ensemble des services de renseignement en savait plus sur les réseaux Ben Laden "que sur n'importe quelle autre organisation terroriste de premier plan"...".
"Le 3 novembre, la Petite Équipe se réunit pour évoquer entre autres sujets ces questions. Lors du briefing du directeur Tenet en vue d'une réunion de la Petite Équipe, mi-novembre, le Centre de sécurité antiterroriste (CSG) insista sur le point suivant: "à ce stade, nous sommes incapables de prévoir quand, ou si, une opération de capture sera menée par nos hommes"." (page 127 version US et page 155 version Française).
Une mission de capture semble être remise au goût du jour, du côté de la CIA. Mais alors que les choses évolues en permettant à la CIA de travailler avec les tribus (ces dernières ayant le droit d'utiliser la force lors de l'opération), il n'y a aucun élément montrant que l'opération de capture aura bien lieu, et si oui, quand, qui parvient au CSG de Clarke. Le double jeu, par une double production et diffusion d'informations, qui change en fonction des destinataires continu.
(1) Pour plus d'informations, voir: "Attentats du 11 septembre: La contre-enquête (Parties 50-51-52)".
Sources:
"11 septembre - Rapport de la Commission d'enquête - Rapport final de la Commission nationale sur les attaques terroristes contre les Etats-Unis", (édition Française), Editions des Equateurs;
www.9-11commission.gov;
www.govinfo.library.unt.edu.