ATTENTATS DU 11 SEPTEMBRE: LA CONTRE-ENQUÊTE (Partie 52)

Publié le par Scaramouche

Ce que nous apprend le rapport de la Commission sur les agissements des différentes agences gouvernementales envers Al Qaïda et Ben Laden entre 1995 et 2001.

Comme nous l'avons vu précédemment, les hauts responsables de l'administration Bush se complaisaient volontairement dans l'inaction envers Ben Laden et Al Qaïda. Que le FBI n'était pas du tout soutenu dans ses efforts antiterroristes, par le nouveau ministre de la Justice (1). Et que la CIA jouait en fait un double jeu (nous y reviendrons) (2).

Mais qu'en est-il à un niveau inférieur. Quels ont été les tentatives et actions concrètes des autres responsables au niveau des services et organismes de l'état en charge de la sécurité et auraient-ils été eux-aussi d'une passivité relative, dans leurs décisions, pendant le mandat précédent sous Clinton ? Pour commencer, nous allons voir cela avec le Département d'Etat (et dans les articles suivants avec la CIA, y incluant certaines décisions du Conseil national de sécurité).

Le rapport de la Commission d'enquête apporte de nombreuses informations (Chapitre 4, "Les ripostes aux premières attaques d'Al Qaïda"; chapitre 6, "D'une menace à l'autre", link; chapitre 8, "Le voyant était au rouge", link; Chapitre 12, "Que faire ? Une stratégie globale, link. Notamment sur les rapports ambigus qu'entretiendra la CIA avec les autres organismes du gouvernement durant les années 1997-2001, ainsi que la passivité du département d'état à l'encontre de Ben Laden ou d'états étrangers finançant le terrorisme, ce que nous allons aborder ici.

 

La responsabilité des principales agences gouvernementales américaines, dans l'absence d'intervention contre Al Qaïda, reconnue par la Commission.

"En 1995 (n° 39) et en mai (n° 62), les directives présidentielles de Bill Clinton concernant le contre-terrorisme ont réaffirmé que le terrorisme était un problème de Sécurité nationale, et ne relevait pas seulement de l'application de la loi. Ces directives ont réaffirmé l'autorité du Conseil national de sécurité (NSC) dans la coordination nationale et internationale des actions de lutte antiterroriste, sous la houlette de Richard Clarke et de son centre de sécurité antiterroriste (CSG) qui chapeautait les différentes agences.

En attirant l'attention sur de nouveaux risques d'attaques non conventionnelles, ces directives ont réparti entre les principales agences les différentes activités à mener, mais n'ont pas établi de distinction entre les formes que pouvait prendre les menaces terroristes. Ainsi, alors même que Clarke pouvait inciter ou encourager les diverses agences à agir, la plupart des actions menées concrètement l'ont été sur décision du département d'Etat, du Pentagone, de la CIA ou du ministère de la Justice..."; "...Mais les Etats-Unis n'ont pas, avant le 11 septembre, adopté un objectif stratégique clair d'élimination d'Al Qaïda." (page 108 version US et pages 133-134 version Française).

Ce passage démontre bien que, malgré les mises en garde de Clarke et de son centre de sécurité antiterroriste, pour inciter les autres organismes à faire quelque chose contre la menace, il n'avait pas les moyens de prendre des décisions et d'ordonner des actions sur le terrain de sa propre initiative. Le CSG ne pouvait que les proposer au Conseil national de sécurité.
Mais que les activités à mener n'auraient pas pu l'être, parce qu'il n'y aurait pas eu de la part du CSG: "...
de distinction entre les formes que pouvait prendre les menaces terroristes"; avec ce passage, la Commission cherche des excuses et voudrait faire croire qu'il y avait le besoin impératif de distinguer les différentes formes d'attentats terroristes possibles (prise d'otage; détournement; attentat à la bombe...etc), pour pouvoir intervenir. Ce qui bien-sûr est un non sens, puisque par définition, les types d'attentats terroristes sont différents par eux-mêmes (un attentat à la bombe n'est pas la même chose qu'un détournement, tout comme un assassinat est différent d'une prise d'otage). La nature et le contenu des informations indiquant d'elles-mêmes en substance les différentes menaces possibles, comme nous l'avons déjà vu. Il y a bien eu de fait, une "distinction", entre les différentes menaces, puisque toutes les possibilités avaient été envisagées, dans les rapports des services de renseignements.
Et quand actions il y a eu: "la plupart des actions menées concrètement l'ont été sur décision du département d'Etat, du Pentagone, de la CIA ou du ministère de la Justice". Le rapport de la Commission reconnait donc bien que les décisions d'agir concrètement, et sous quelles formes, ne pouvaient provenir que des plus hautes institutions du gouvernement Américain. Mais ces dernières, "...n'ont pas, avant le 11 septembre, adopté un objectif stratégique clair d'élimination d'Al Qaïda". Alors les institutions auraient "prises des décisions", tout en ayant jamais établi clairement de plan concerté pour éliminer la menace en question.
Les "responsables" 
- dans les deux sens du terme - au niveau institutionnel, ayant la responsabilité et le pouvoir d'intervention dans le but d'éliminer Al Qaïda sont donc nommément cités.

 

Le rôle joué par le Département d'Etat envers Ben Laden et Al Qaïda.

Le département d'Etat, auquel on s'interesse souvent très peu, dans le contexte des attentats du 11 septembre, a été lui-aussi d'une grande passivité, surtout en ce qui concerne les démarches pour faire extrader Ben Laden.

 

Le Soudan avait proposé aux Saoudiens et aux Américains de leur remettre Ben Laden.

"A la fin de 1995, alors que Ben Laden se trouvait encore au Soudan, le département d'Etat et la CIA furent informés que des officiels soudanais menaient des discussions avec le gouvernement saoudien quant à la possibilité d'expulser Ben Laden. L'ambassadeur américain, Timothy Carney encouragea les soudanais dans cette démarche. Les Saoudiens, cependant, ne voulaient pas de Ben Laden et s'en justifiaient en disant qu'ils lui avaient retiré sa citoyenneté. Le ministre de la défense, Fatik Erwa, a affirmé que le Soudan se proposait de remettre Ben Laden aux Etats-Unis. La commission n'a trouvé aucune preuve crédible que cette information était vrai. M. l'ambassadeur Carney avait pour seules instructions d'encourager les Soudanais à expulser Ben Laden. Il ne disposait d'aucune assise légale pour demander davantage aux Soudanais puisque, à ce moment-là, aucune procédure d'accusation n'était en cours". (pages 109-110 version US et page 135 version Française).

Dès 1995, les officiels Soudanais se disaient donc prêts à remettre Ben Laden aux Saoudiens. Le département d'Etat et la CIA étaient au courant de leur démarche et de leurs tractations avec le gouvernement Saoudiens. Mais les Saoudiens - qui auraient très bien pu accepter l'expulsion de Ben Laden vers leur pays et le remettre ensuite aux Américains - ont refusé la proposition du Soudan. On peut se demander pourquoi, quand on connait les très bonnes relations qu'entretenaient (et entretiendront encore par la suite sous le mandat Bush), l'Arabie Saoudite avec les Etats-Unis. Et nous apprenons par le ministre de la défense Soudanais, Fatik Erwa, que son pays se proposait même de remettre Ben Laden aux Etats-Unis (sans doute suite au refus des Saoudiens). Même si la Commission prétend n'avoir trouvé aucune preuves de ce fait, l'affirmation du ministre existe bien, puisque le rapport la reconnait. 
Mais pourquoi n'avoir pas plus insisté pour que le Soudan remette Ben Laden directement aux Etats-Unis ? Pourquoi le Département d'Etat n'a pas fait plus de démarches diplomatiques en ce sens ? Ce serait, d'après le rapport, parce qu'il n'y avait pas encore eu d'accusations officielles contre Ben Laden à cette époque. Mais la question qui vient tout de suite à l'esprit est: Pourquoi n'y en a-t-il pas eu, déjà en 1995, par le gouvernement Américain ? Et une accusation pénale, cela nous ramène bien-sûr au rôle du Département de la Justice.

"Quand Ben Laden partit pour l'Afghanistan en mai 1996, il devint un sujet d'intérêt pour le bureau de l'Asie du Sud du Département d'Etat. A cette époque, comme nous l'a dit un diplomate, le département et le Gouvernement ne considérait pas l'Asie du Sud comme une priorité majeure. En 1997, alors que Madeleine Albright entrait en fonctions, un compte-rendu du Conseil national de sécurité mettait en évidence que les Etats-Unis auraient intérêt à prêter davantage d'attention non seulement à l'Inde mais aussi au Pakistan et à l'Afghanistan...; ...Au département d'Etat, les inquiétudes concernant  les tensions entre l'Inde et le Pakistan monopolisaient l'attention au détriment de l'Afghanistan ou de Ben Laden."..." (page 110 version US et page 136 version Française).

Selon la Commission, le Département d'Etat ne se serait pas interressé à la "menace Ben Laden", parce que ce n'était pas une priorité. Et qu'il préférait s'orienter vers les tensions entre l'Inde et le Pakistan. Alors que le Conseil national de sécurité leur suggérait au contraire, et de porter plus d'attention, entre autre, à l'Afghanistan. Donc, si l'on suit l'explication du rapport, cela voudrait dire que le ministère des affaires étrangères Américain serait incapable de faire deux choses à la fois.

 

L'exploitation du pétrole Afghan par une compagnie Américaine, déjà dans la ligne de mire des Etats-Unis en 1998.

"En Afghanistan, le département d'Etat tenta de mettre un terme à la guerre civile qui se poursuivait depuis le retrait soviétique. Le bureau chargé de l'Asie du Sud pensait qu'il pourrait appâter les deux factions rivales avec un projet de la Compagnie d'union pétrolière californienne (UNOCAL) qui consistait à construire un pipeline à travers le pays...; ...l'ambassadeur américain auprès des Nations Unies, Bill Richardson, conduisit une délégation en Asie du Sud - y compris en Afghanistan - en avril 1998.; ...En raison du réçent appel public lancé par Ben Laden à tous les musulmans les exhortant à tuer des Américains, Richardson demanda aux talibans d'expulser Ben Laden. Ils lui firent répondre qu'ils ignoraient où il se trouvait. Les Talibans affirmèrent que, de toutes façons, Ben Laden ne représentait pas une menace pour les Etats-Unis. (page 111 version US et pages 136-137 version Française).

Donc, au lieu de lutter contre le terrorisme (et plus particulièrement Al Qaïda) ou de tout faire pour tenter d'obtenir l'expulsion de Ben Laden par certains pays Moyen-Orientaux, comme par exemple avec le Soudan qui l'avait proposé en 1995, le département d'Etat ne se focalise que sur le but de "...mettre un terme à la guerre civile qui se poursuivait depuis le retrait soviétique".
Et pour parvenir à ce résultat, les responsables de département d'Etat de la zone de l'Asie Centrale, souhaite se servir de l'implantation d'un pipeline en Afghanistan, projet de la société UNOCAL. On peut voir qu'en 1997 (sous prétexte de mettre fin à la guerre civile), l'exploitation du pétrole Afghan était déjà en préparation. Et Amhid Karzaï, celui-là même qui deviendra président de la république d'Afghanistan, après l'occupation du pays par les Américains, avait travaillé comme consultant pour la compagnie UNOCAL.
La seule démarche pour essayer de se voir remettre Ben Laden, sera une demande aux Talibans. Alors que ces derniers sont officiellement de la même faction terroriste, tant dans les actions que dans les idées, que Ben Laden. On peut donc fortement douter qu'ils auraient accepté de le remettre aux Américains. D'ailleurs (bien-sûr, nous ne sommes pas obligés de les croire) ils disent ne pas savoir où il se trouve et qu'il n'était pas une menace pour les Etats-Unis (ce qui est tout-à-fait le contraire de l'image qui en sera donné, après le 11 septembre).

Pendant la période fin 1997/courant 1998, l'inaction du dépertement d'Etat dans sa lutte contre Al Qaïda et Ben Laden est même relevé par la Commission:

"Pour résumer, à la fin de l'année 1997 et au printemps 1998, les principales agences américaines s'efforcaient, chacune dans leur coin, de lutter contre Ben Laden...; ...Pendant ce temps, le département d'Etat se préoccupait davantage de diminuer les tensions nucléaires entre l'Inde et le Pakistan, de mettre un terme à la guerre civile en Afghanistan et de lutter contre les atteintes aux droits de l'homme commises par les Talibans, au lieu de pourchasser Ben Laden." (page 111 version US et page 137 version Française).

 

Le Pakistan financait le terrorisme international.

"L'autre voie diplomatique pour parvenir à Ben Laden en Afghanistan passait par Islamabad. Durant l'été qui précéda les attentats contre les ambassades, le département d'Etat s'était sérieusement préoccupé des tensions croissantes entre l'Inde et le Pakistan et n'avait pas été assez ferme avec le Pakistan à propos de l'Afghanistan et de Ben Laden. Mais les responsables de l'antiterrorisme au département d'Etat réclamaient une position plus ferme ; le coordinnateur en charge de l'antiterrorisme recommanda à la ministre Madeleine Albright de désigner le Pakistan comme un état sponsorisant le terrorisme, en soulignant que, en dépit des plus vives assurances de la part des Pakistanais, les services de renseignement militaire de ce pays poursuivaient leurs "activités de soutien au terrorisme international" en accordant leur aide à des attaques contre des cibles civiles au Cachemire. Cette recommandation rencontra l'opposition du bureau d'Asie centrale du département d'Etat, qui redoutait que cela ne détériore des relations déjà délicates avec le Pakistan, à la suite des essais nucléaires pratiqués par l'Inde et le Pakistan en mai 1998. La ministre Albright rejeta la recommandation le 5 août 1998, seulement deux jours avant les attentats contre les ambassades. Elle nous a affirmé que, d'une façon générale, mettre les Pakistanais sur la liste des terroristes supprimerait toute influence que les Etats-Unis avaient sur eux."... (page 123 version US et page 150 version Française).

Les Américains ont donc la preuve que le Pakistan joue un double jeu, en financant le terrorisme au niveau international et en protègeant les Talibans (donc par contre-coup, Ben Laden). Et alors que les responsables de l'antiterrorisme au département d'Etat, demanderont des sanctions - légitimes - à l'encontre du gouvernement Pakistanais, leur recommandation sera refusée par le secrétaire d'état, Madeleine Albright. Sous prétexte que les sanctions déjà mise en place, à cause de la détention par le Pakistan de l'arme nucléaire, auraient rendu les relations difficiles entre les deux pays. Comment se fait-il que les Etats-Unis soient si frileux, à désigner le Pakistan comme étant un "état terroriste", alors qu'ils ne s'en priveront pas pour l'Afghanistan et l'Irak ? Est-ce justement à cause du fait que le Pakistan détiendrait l'arme nucléaire, qu'il n'y aurait pas eu de sanctions supplémentaires ? Il faut bien remarquer que les seuls pays qui seront attaqués à la suite du 11 septembre par les Etats-Unis, seront l'Afghanistan et l'Irak, qui ne possédait pas l'arme nucléaire. En tous les cas, le département d'Etat refuse d'appliquer des sanctions, qui auraient été parfaitement normales, dans la logique d'une politique de lutte antiterroriste.
En fait, pour le ministère des affaires étrangères Américain, la protection de la vie de citoyens Américains passe en second plan, par rapport aux tensions politiques existantes entre l'Inde et le Pakistan. Et il n'y aura pas d'accusation officielle contre le Pakistan en le faisant figurer sur la liste des états terrroristes.

 

Le Département d'Etat sait que les services de renseignements Pakistanais protègaient les Talibans.

"Après s'être rendu en avion à Nairobi et avoir fait rapatrier les cercueils des victimes américaines, la ministre Albright accrut la vigilance du ministère concernant la lutte antiterroriste. Selon l'ambassadeur Milam, les attentats résonnèrent comme un "signal d'alarme" et lui-même se mit rapidement à consacrer 45 à 50 % de son temps à travailler sur le dossier Ben Laden-Talibans. Mais les services de renseignement militaire pakistanais, connus sous le nom d'ISID (Direction inter-services du renseignement), étaient les tous premiers protecteurs des Talibans, ce qui rendait tout progrès difficiles." (page 123 version US et page 150 version Française).

Mais alors que l'ISID Pakistanais protégeait les Talibans et continueront par la suite même après le changement de régime, le général de corps d'armée Mahmoud Ahmad, responsable des services secrets Pakistanais arrivera le 4 septembre 2001 aux Etats-Unis et y restera jusqu'au 13. Il s'y rendait pour rendre la visite que le directeur de la CIA Tenet lui avait faite au mois de mai. Entre le 4 et le 11 septembre, Ahmad rencontrera Tenet et s'entretiendra avec plusieurs responsables de la Maison Blanche dont les noms n'ont pas été révélés. Il rencontrera également Marc Grossman, le sous-secrétaire aux affaires étrangères pour les affaires politiques et d'autres personnalités liés au renseignement, le matin même du 11 septembre, lors d'un petit-déjeuner officiel au Capitole. Est-ce une simple coïncidence ?

"Le fait d'opérer une pression supplémentaire sur les pakistanais - en plus des exigences de réclamer Ben Laden aux Talibans - ne rencontrait guère d'écho auprès de la plupart des responsables du département d'Etat. Les sanctions prononcées par le Congrès à l'encontre du Pakistan pour possession d'armes nucléaires empêchaient l'administration de proposer des contreparties à Islamabad."... (page 123 version US et page 150 version Française).

Et si il n'aurait pas eu une pression supplémentaire, ce serait dût au fait que les Etats-Unis n'auraient pas pu proposer des "contreparties" au Pakistan, à cause des sanctions du Congrès. Cela est complètement faux. Etant donné que la contrepartie - tout-à-fait logique en fait - qui aurait pu être proposée (en échange de la fin de la protection des Talibans et de la remise de Ben Laden aux Américains), aurait été la fin des sanctions en question.

 

Le nouveau coordinateur de l'antiterrorisme propose une nouvelle stratégie.

"Les débats au département d'Etat s'intinsifièrent après décembre 1998, lorsque Michael Sheehan devint le coordinateur de l'antiterrorisme. Cet ancien officier des forces spéciales avait travaillé avec Albright lorsqu'elle était ambassadeur des Nations Uines, et avait été membre de l'état-major du NSC avec Clarke. Il partageait l'obsession qu'avait Clarke de l'antiterrorisme, et n'hésitait guère à en découdre avec les antennes locales. En utilisant tous les canaux possibles, il rappelait l'avertissement déjà lancé aux Talibans de retombées potentiellement sévères - y compris des frappes militaires - si Ben Laden restait leur hôte et menait encore d'autres attentats. Au sein du département, il soutenait qu'il fallait désigner le régime taliban comme un état sponsor du terrorisme. C'était techniquement difficile à mettre en oeuvre, car s'y référer en tant qu'état reviendrait à la reconnaitre diplomatiquement, ce que les Etats-Unis avaient évité jusque-là...; ...Il nous a dit être convaincu qu'on le considérait au département comme "un cinglé qui radotait." (pages 123-124 version US et page 151 version Française).

Il semblerait que Clarke au Conseil national de sécurité ait un homologue très énergique au département d'Etat. Mais, tout comme Clarke, on voit que Sheehan est loin d'être entendu. Mais cela ne l'empêchera pas de faire son travail.

"Début 1999, le bureau antiterroriste du département d'Etat proposa une stratégie diplomatique d'ensemble pour les Etats impliqués dans le problème Afghan, y compris le Pakistan. Il recommandait l'emploi de la carotte et du bâton auprès de ces états, assurant que le Pakistan ne coopérait pas sur la question du terrorisme. Albright expliqua que la liste des carottes à offrir et des coups de bâton à donner, établie par un document destiné aux responsables, ne fût probablement pas "respecté à la lettre", mais elle ajouta que "l'on s'en était inspiré d'une certaine façon, en modulant l'intensité." Mais l'auteur du document, l'ambassadeur Sheehan, éprouva de la frustration et se plaignit en nous disant que le projet originel "avait été édulcoré au point qu'il n'avait servi à rien." (page 124 version US et pages 151-152 version Française).

Sheehan propose une nouvelle stratégie, mais cela restera lettres mortes, puisque cette stratégie sera tellement modifiée, que cela la rendait totalement inefficace. Il y aura la même chose au Conseil national de sécurité avec le rejet du plan "Delanda" de Clarke (nous y reviendrons).

 

Le deux orientations de l'administration Clinton, concernant leur politique en Afghanistan.    

"Le débat au sein de l'administration Clinton à propos de l'Afghanistan se focalisèrent alors autour de deux choix majeurs. Le premier, soutenu par Ridel et le ministre adjoint Karl Inderfurth, était d'entreprendre un effort diplomatique vigoureux pour mettre un terme à la guerre civile en Afghanistan. Le second, auquel Sheehan, Clarke et la CIA étaient favorables, préconisait de stigmatiser les Talibans comme groupe terroriste et au final d'apporter une aide secrète à leur pire enemi, l'Alliance du Nord. Cette controverse allait durer tout au long de l'année 1999 et devenir indissociable d'une autre question: fallait-il enrôler l'Alliance du Nord comme allié dans des opérations secrètes ?

Une autre option diplomatique aurait pu se profiler: encadrer des groupes d'éxilés Afghans pour qu'ils deviennent une alternative possible de gouvernement modéré face aux Talibans. A la fin de 1999, Washington offrit son soutien à des discussions entre les dirigeants de ces groupes d'éxilés Afghans, parmi lesquels le roi Zahir Sha en exil à Rome et Hamid Karzaï, portant sur un soutien apporté aux forces anti-talibans à l'intérieur de l'Afghanistan et sur une union à l'Alliance du Nord avec les groupes pachtounes." (page 124 version US et page 152 version Française).

L'administration Clinton, loin de se focaliser sur la menace antiterroriste proprement-dite, ne s'oriente que vers deux options possibles: mettre un terme à la guerre civile d'un côté et de l'autre, peut-être apporter une aide secrète à l'Alliance du Nord du commandant Massoud. 

Comme nous le savons déjà, il faudra attendre une directive du 4 septembre 2001, pour qu'une aide aux Forces de Massoud soit mise en place par les Etats-Unis. Pourquoi, alors que l'enemi juré des Talibans est l'Alliance du Nord, avoir attendu aussi longtemps, pour leur apporter un soutien et travailler conjointement avec eux dans des opérations secrètes ?

Et au passge, près de deux ans avant l'attaque et l'occupation de l'Afghanistan, on voit que Hamid Karzaï était déjà préssenti pour être mis à la tête du futur nouveau gouvernement Afghan. 

"Au sein du département d'Etat, certains responsables entravèrent les efforts de Sheehan et de Clarke soit pour désigner l'Afghanistan contrôlé par les Talibans comme un état sponsor du terrorisme ou pour présenter le régime comme une organisation étrangère (contournant ainsi le problème de la reconnaissance des Talibans comme le gouvernement effectif d'Afghanistan). Sheehan et Clarke eurent gain de cause en juillet 1999, quand le président Clinton fit paraitre une directive présidentielle qualifiant, de fait, le régime taliban d'Etat sponsor du terrrorisme." (page 125 version US et page 153 version Française).

On voit bien que Sheehan et Clarke ne sont pas soutenu, loin de là. Mais Clinton abondera dans leur sens, pour la reconnaissance du régime Taliban comme état terroriste. Le département d'état fera une déclaration dans ce sens. Ensuite, les discussions diplomatiques se poursuivirent, dans le but d'obtenir Ben Laden avec l'aide du Pakistan.

 

Le président Pakistanais propose de capturer Ben Laden pour le remettre aux Américains.

"Les autorités américaines avaient continué d'essayer d'obtenir la coopération du Pakistan à travers les pressions exercées sur les Talibans pour qu'ils cessent d'abriter Ben Laden. Le président Clinton recontacta Sharif en juin 1999, en partie pour discuter de la crise avec l'Inde mais aussi pour inciter Sharif "le plus vigoureusement possible" à convaincre les Talibans d'expulser Ben Laden. Le président proposa que le Pakistan se serve de son contrôle sur les livraisons de pétrole aux Talibans, et sur les importations afghanes transitant par Karashi. Sharif proposa plutôt que les forces pakistanaises assaient ennes-mêmes de capturer Ben Laden. Même si personne à Washington ne jugeait cela vraisemblable, le président Clinton donna son aval à cette idée."  

"Le président rencontra Sharif à Washington début juillet...; ...Sharif présenta à nouveau sa première proposition et obtint l'accord des Américains pour qu'ils apportent leur aide à l'entrainement d'une équipe des forces spéciales pakistanaises chargée d'une opération contre Ben Laden. Mais en octobre 1999, Sharif était renversé par le gnénéral Pervez Musharraf, ce qui mit un terme à ce projet." (page 126 version US et page 154 version Française).

Le président Sharif proposait que ce soit des forces pakistanaises qui capturent Ben Laden pour le remmettre aux Américains, et ces derniers étaient même d'accord pour aider à l'entrainement des forces spéciales pakistanaise dans ce but. Et que se passera-t-il trois mois plus tard ? Sharif sera renversé par un coup d'état militaire de Musharraf. Ce qui mettra fin à cette possibilité de capturer Ben Laden. Faudrait-il y voir plus qu'une simple coïncidence ? Chacun jugera. Il y aura dans la foulée des sanctions envers le Pakistan votées par le Conseil de sécurité aux Nations-Unies en octobre 1999.

"A la fin 1999, plus d'une année après les attentats contre les ambassades, la diplomatie exercée aurpès du Pakistan, tout comme les efforts avec les Talibans, n'avaient, selon le sous-secrétaire d'Etat Thomas Pickering, "porté que peu de fruit"." (page 126 version US et page 154 version Française).

Effectivement, le département d'état aura été d'une grande passivité, dans sa lutte contre le terrorisme, entre 1997 et 1999. Préférant se préoccuper de faire cesser la guerre civile et d'instaurer un autre gouvernement en Afghanistan et des tensions sur le sujet du nucléaire, entre l'Inde et le Pakistan, au lieu de lutter activement contre le terrorisme. 

 

Une autre démarche auprès des Talibans, pour réclamer l'extradition de Ben Laden.

A la suite de l'attentat contre le détroyer USS Cole en février au Yémen, "Essayant la voie diplomatique, Berger accepta le 30 octobre 2000, de laisser le département d'Etat faire de nouvelles approches auprès du vice-ministre des affaires étrangères des Talibans Abdoul Jalil, en vue de leur demander l'expulsion de Ben Laden. Le conseiller de la Sécurité nationale exigea que le message des Américains "soit austère et prémonitoire". Cette mise en garde ressemblait à celles envoyées en 1998 et en 1999."... (page 193 version US et page 231 version Française).

Ici, l'action tardive du Département d'Etat aurait donc été ralenti et empêchée pendant huit mois par Berger du Conseil national de sécurité. Cela ne donna rien et les Talibans refusèrent de livrer Ben Laden.

 

Le financement d'Al-Qaïda par l'Arabie Saoudite.

Le rapport ne cache pas l'origine de ce financement, en écrivant:

"L'Arabie Saoudite s'est montré un allié incertain dans la lutte contre l'extrêmiste islamiste. Officiellement, ses dirigeant ont coopéré avec les initiatives diplomatiques américaines dirigées contre les Talibans ou le Pakistan avant le 11 septembre. Dans le même temps, c'est dans la société Saoudienne qu'Al-Qaïda a recuelli des fonds, chez les individus et via des associations charitables...".

"Alors que les dons Saoudiens sont régulés au plan nationale par le ministère du Travail et de l'Aide Sociale, des organismes caricatifs et des agences humanitaires internationaux, telle "le groupe mondial de la jeunesse islamique" (WAMY), sont actuellement régis par le ministère des Affaires islamiques. Ce ministère utilise le zakat et des fonds gouvernementaux pour répendre la foi wahabite à travers le monde, jusque dans les mosquées et les écoles..., ...même dans les pays riches, des écoles wahabites financées par l'Arabie Saoudite ont été instrumentalisées par des extrêmistes au service de leur jihad contre les non-musulmans. Parmi ces organisations, la fondation islamique Al-Haramain...". (pages 371-372 version US et pages 430-431 version Française)

Si des membres de la société Saoudienne financait le terrorisme (en partie par des associations caritatives) et plus particulièrement Al Qaïda (qui sera bien officiellement désignée par l'administration Bush, comme étant responsable des attentats du 11 septembre), et que les autorités Américaine le savaient parfaitement, pourquoi n'y aura-t-il aucune démarche du département d'Etat pour désigner l'Arabie Saoudite comme étant un "état terroriste" ? D'ailleurs un document du Conseil national de sécurité soulignera que ceux qui financent Al-Qaïda sont considérés comme étant des terroristes:

"Comme une note de service du Conseil national de sécurité le disait justement "sous les Talibans, l'Afghanistan est moins un état sponsorisant le terrorisme qu'un état sponsorisé par les terroristes." (pages 182-183 version US et page 219 version Française).

 

Les quelques approches diplomatiques envers le nouveau régime de Musharraf au Pakistan.

En janvier 2000, le secrétaire d'Etat assistant karl Inderfurth et le coordinateur pour l'antiterrorisme au département d'Etat, Michael Sheehan rencontrèrent le général Musharraf à Islamabad, pour lui demanander de faire pression sur le mollah Omar de livrer Ben Laden, ils dirent que le Pakistan était peu enclin à coopérer, à cause de l'intérêt d'avoir le contrôle des talibans sur l'Afghanistan. Le président Clinton rencontra Musharraf le 25 mars. Ils parlèrent des tensions entre l'Inde et le Pakistan et de la prolifération de l'armement nucléaire mais parlèrent aussi de Ben Laden. Fin mai, le Sous-secrétaire d'Etat Thomas Pickering se rendit au Pakistan, et en juin le directeur de la CIA fît de même, pour réitérer les demandes du président. A partir du mois de septembre, les Etats-Unis commenceront à critiquer ouvertement le Pakistan, pour son soutien aux Talibans. Et en décembre 2000, tombera de nouvelles sanctions du Conseil de sécurité de l'ONU, par la résolution 1333.

Le démarches diplomatiques dans le but de faire pression sur le pays protecteur des Talibans échouèrent. 
La lutte du département d'Etat contre Al-Qaïda se résumera donc, de 1995 à 2000, à ne pas apporter toutes l'aide pour une extradition eventuelle de Ben Laden par le Soudan via l'Arabie Saoudite, puis sans doutes de ne pas donner suite à une proposition d'extradition directement vers les Etats-Unis; de ne pas désigner publiquement le Pakistan et l'Arabie Saoudite comme étant respectivement, "état terroriste" et comme "état sponsorisant le terrorisme"; a rendre sans intérêt le plan de stratégie diplomatique du 
coordinateur pour l'antiterrorisme.
Sous le mandat Bush, avec le nouveau secrétaire d'Etat Colin Powell, entre février et septembre 2001, les efforts antiterroristes se résumeront prinicipalement à
 mettre en garde en juillet 2001 de risques d'attentats dans des pays du Golfe Persique. 

 

(1) Pour plus d'informations, voir "Attentats du 11 septembre: La contre-enquête (Parties 50-51).

(2) Pour plus d'informations, voir "Attentats du 11 septembre: La contre-enquête (Parties 53-54).

(3) Pour plus d'informations, voir "Attentats du 11 septembre: La contre-enquête (Partie 41).

Sources:
"11 septembre - Rapport de la Commission d'enquête - Rapport final de la Commission nationale sur les attaques terroristes contre les Etats-Unis", (édition Française), Editions des Equateurs;
www.9-11commission.gov;
www.govinfo.library.unt.edu.